Il a été officier, procureur, puis professeur à l’Université de Saint-Gall et, enfin, avocat installé à Lugano. «En somme, j’ai le profil d’un UDC!» lance Paolo Bernasconi. Mais ses idées et ses objectifs ne sont pas ceux d’un UDC, et pas non plus ceux d’un radical, le parti auquel était affilié son père. L’homme de 70 ans ne veut pas être membre d’un parti, pour éviter de se ranger dans une catégorie. «Si je faisais de la politique, je devrais me positionner, par exemple, sur les questions de santé. Or, je n’y comprends rien, lâche le docteur en droit pénal économique et en économie. J’ai pourtant rédigé des centaines d’interventions pour des députés issus de différents partis, sur le plan tant fédéral que cantonal.»
Mais l’avocat n’arrive pas toujours à tenir la politique à distance. Au Tessin, il s’est battu contre les manières rudes du politicien (aujourd’hui décédé) Giuliano Bignasca, de la Lega dei Ticinesi. Et il s’est trouvé sous les feux de la rampe en tant que président de l’association nationale de soutien à l’initiative Minder contre les rémunérations abusives. Dans cette campagne, «les citoyens se sont opposés à l’arrogance du pouvoir, dans l’esprit de la démocratie helvétique. Cela m’a impressionné», explique-t-il. Ce fut aussi l’occasion de collaborer avec des gens dans tous les cantons, y compris du camp UDC. «Et nous avons bu beaucoup de bières», s’amuse-t-il.
Aujourd’hui encore, il s’énerve contre l’engagement, à coup de millions, d’economiesuisse au profit du portemonnaie d’une centaine de managers. Un petit groupe de cadres qui, avec la norme pénale prévue par l’initiative Minder, devrait être tenue en respect. «La tentation de s’enrichir des managers enfreint l’interdiction d’utiliser des conflits d’intérêts pour son propre profit.»
Expert de l’OCDE
L’ancien procureur est avocat depuis 30 ans, mais il ne perd pas son image de traqueur de délinquants économiques. C’est lui qui a préparé, en 1986, le projet de loi contre le blanchiment. Et c’est aussi lui qui, comme expert dans un groupe de l’OCDE, élabore d’autres normes, qui devraient mettre le holà à la corruption internationale.
Mais, en qualité d’avocat, Paolo Bernasconi a représenté aussi des clients qui s’en prennent au pouvoir de l’Etat. Il a défendu deux personnes qui voulaient savoir si leur nom figurait sur une liste de UBS devant être livrée aux autorités fiscales américaines (IRS). Il considère l’Accord conclu avec les Etats-Unis concernant UBS comme «une hérésie sur le plan juridique, qui ne vaut que pour une catégorie de personnes». Mais pourquoi s’engager en faveur de deux clients ayant des sociétés offshore? Parce qu’il est choquant, estime l’avocat, que les banques aident leurs clients à la soustraction d’impôts, en tirent un bénéfice pour, finalement, les trahir.
Il ne conseille pas les Suisses en matière fiscale, mais il assiste des étrangers sur des questions de compliance, leur indiquant tous les risques juridiques dans ce domaine. Comme défenseur pénal, il ne va pas devant les tribunaux: il ne veut pas faire profiter ses clients des lacunes juridiques qu’il avait découvertes en tant que procureur.
Le Tessinois dénonce le comportement des hauts dirigeants des banques, de même que celui des intermédiaires financiers qui ont repris l’argent américain de clients de UBS après l’affaire qui a touché cette banque en 2008: «Ils ont agi de manière irresponsable à l’égard de leurs actionnaires, de leurs créanciers et de la Suisse.» Il s’étonne que les exigences des Etats-Unis suscitent l’effarement et la surprise, alors que les risques étaient connus: les banques se sont trompées de manière flagrante. Sans parler de la responsabilité du Parlement, «qui ne connaît rien au marché financier», n’a pas réussi à éviter la situation actuelle et persiste à vouloir se frotter aux autorités américaines: «Les députés UDC n’ont-ils pas appris, au jardin d’enfants déjà, qu’on ne s’attaque pas aux plus musclés?»
L’ancien procureur adresse aussi de sévères critiques à la Finma: «Elle sait rarement ce qui se passe sur le marché financier, dont elle est trop éloignée.» Elle aurait dû, dès 2005, mettre au courant le Conseil fédéral des combines des banques pour contourner l’impôt à la source de l’UE et, dès 2008, faire de même concernant le contournement des règles sur les risques liés aux activités financières transfrontières.
Amnistie fiscale
A l’entendre parler des banques et des intermédiaires financiers, on a l’impression que Paolo Bernasconi veut faire payer tous les fautifs. Mais sa vision du monde n’est pas si simple. Il propose en effet une amnistie fiscale, car les lignes directrices du service de l’OCDE spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme (le GAFI) s’appliqueront aussi en Suisse. Ce sera le cas dès 2015, et les délits fiscaux graves seront considérés comme des actes préparatoires au blanchiment. «Les employés de banque ne devraient pas être poursuivis à cause des anciennes affaires imposées par leurs managers», estime l’avocat. Car la Suisse ne regorge pas seulement de l’argent non déclaré venant d’Europe ou des Etats-Unis. Les instituts financiers suisses en acceptent aussi de l’Asie, de l’Amérique du Sud ou de la Russie.
Ce n’est pas par compassion pour les fraudeurs que Paolo Bernasconi propose une amnistie fiscale. C’est parce qu’ils ont pu, pendant des années, bénéficier du secret bancaire, grâce à un système mis en place par l’Etat. Ce dernier «s’est comporté de manière ambiguë». La tâche des autorités fiscales revient à gravir le Cervin avec les yeux bandés et un gros sac sur le dos, illustre le Tessinois, pour qui cette situation doit changer: il appartient à l’Etat de montrer clairement que les fraudeurs s’exposent à des risques toujours plus grands. Avec une amnistie fiscale fédérale, poursuit-il, la Suisse verra revenir une grande quantité d’argent non déclaré reposant dans des banques suisses à Singapour, aux Bahamas ou à Londres, qui sera réinvesti ici. Depuis la dernière amnistie fiscale, en 1966, «beaucoup d’argent non déclaré s’est amassé», lâche laconiquement l’avocat. Puis d’ajouter: «Ce n’est qu’avec une amnistie qu’on peut aussi épargner aux employés de banque une procédure pénale pour participation à la commission de délits fiscaux de leurs clients contribuables suisses.»
Adaptation française Suzanne Pasquier