JdT, partie II, 1/2024
L’édition spéciale de la deuxième partie du Journal des tribunaux consacrée au droit civil, à la poursuite pour dettes et faillites et à la procédure civile présente les sujets traités lors la Journée lausannoise du droit des poursuites du 5 septembre 2023. Deux contributions publiées dans cette édition spéciale ont attiré notre attention.
Charles Jaques, Nature juridique des garanties locatives et des assurances de garantie de loyer, JdT 2024 II 4
Cette contribution donne un aperçu complet des sûretés fournies par les locataires en garantie des prétentions issues du contrat de bail. Aussi, deux manières de fournir de telles sûretés sont analysées, soit la garantie locative au sens de l’art. 257e CO et l’assurance de garantie/cautionnement de loyer. En découlent des relations juridiques complexes. L’existence du contrat de bail conditionne les rapports qui naissent lors de la constitution de sûretés.
Ainsi, la garantie locative présuppose l’ouverture d’un compte de dépôt auprès d’un établissement bancaire, soit un contrat de dépôt avec le locataire ou le bailleur. Quant à l’assurance de cautionnement de loyer, elle implique la conclusion d’un contrat d’assurance portant sur la promesse de l’assurance de garantir les dettes du locataire-preneur d’assurance auprès du bailleur contre le versement d’une prime. L’expertise sur la nature juridique de ces relations est bienvenue vu les changements d’habitudes en matière de constitution de la garantie de loyer.
Philippe Germann, Lorsque la créance de loyer rencontre la procédure de poursuite, JdT 2024 II 25
Philippe Germann procède à un exposé éminemment pratique qui pourra même servir d’aide-mémoire au praticien lors de procédures de poursuites pour des créances de loyer. Des rappels essentiels sont opérés, comme les indications à fournir dans la réquisition de poursuite. L’auteur évoque notamment l’obligation d’indiquer son domicile réel, la mention de l’adresse de l’étude d’un avocat propriétaire étant insuffisante, par exemple.
Des problématiques intéressantes sont abordées, telles que le déroulement de la prise d’inventaire découlant du droit de rétention du bailleur sur les biens mobiliers sis dans un local commercial, le loyer approprié à prendre en compte dans le cadre du calcul du minimum vital ou la poursuite en réalisation du gage en vue de l’encaissement de la garantie de loyer déposée sur un compte bancaire. Cet exposé démontre l’ampleur des volets de la procédure de poursuite touchés lors de l’introduction d’une poursuite pour une créance de loyer et doit être salué à ce titre. Il en va de même des précisions apportées par l’auteur, telles que les renvois aux formulaires utiles.
Procédure civile
Florian Eichel, Gerichtsöffentlichkeit bei Videoverhandlungen im Zivilprozess, Ein Beitrag zur Auslegung von Art. 141a Abs. 3 nZPO, RSJ 5/2024, p. 211 ss.
Le nouveau code de procédure civile entrera en vigueur le 1er janvier 2025. Une des innovations apportées par cette révision porte sur la création d’une base légale aux art. 141a et 141b nCPC sur l’audience vidéo. Cette contribution apporte un éclairage sur les procédures pour lesquelles ce format est adapté, les contraintes liées à son utilisation allant du droit d’être entendu aux problèmes techniques, son utilisation dans un contexte international ou les effets sur le principe de publicité.
Après une brève analyse historique, le vice-directeur de l’Institut de droit privé international et de procédure constate que le nouveau code de procédure offre une certaine flexibilité par rapport aux réglementations étrangères. Cette contribution expose les différentes options possibles et leurs impacts sur la transposition du principe de publicité. Il en résulte quelques entraves techniques pouvant mettre à mal le principe de publicité. L’auteur estime toutefois que cette évolution est réjouissante dans l’optique d’une amélioration de l’accessibilité des jugements au public. Un panorama sur l’instauration d’une pratique soulevant de nombreux doutes.
Droit administratif
Thierry Largey, La nature dualiste des concessions hydroélectriques: observations critiques à l’aune de la jurisprudence récente, RDS 143/2024 I, p. 87 ss.
En sa qualité de professeur de droit administratif, de droit de l’environnement et de droit de l’aménagement du territoire, Thierry Largey dispose d’un regard aiguisé pour appréhender ces domaines dynamiques où les objectifs d’augmentation de la densité urbaine et de transition énergétique obligent le juriste à s’adapter à des changements jurisprudentiels et législatifs constants.
La présente contribution est certes en lien avec les énergies renouvelables mais ne porte pas sur une nouveauté amenée par la dynamique en cours. Il est ici question de concessions hydrauliques, un instrument consacré dans la loi sur l’utilisation des forces hydrauliques du 22 décembre 1916. Il n’en demeure pas moins que la concession hydraulique, soit le droit cédé à un tiers par un canton ou la Confédération d’utiliser la force d’un cours d’eau, reste un intéressant sujet de discussion.
L’auteur le rappelle en fondant la base de ses réflexions sur un arrêt du Tribunal fédéral du 30 août 2023 déboutant un concessionnaire quant à ses revendications sur un droit d’utilisation précédemment octroyé aux CFF. Le considérant 5 de l’ATF 149 II 320 concerne les règles interprétatives des concessions hydrauliques et sert de base aux réflexions de Thierry Largey sur les caractéristiques duales de la concession situées entre le contrat et la décision. Cet intéressant exposé atteste des difficultés résultant de cette dualité, notamment quant à l’autorité compétente pour trancher le litige.
Protection des données
Meike Ramon, Alexandre Barbey, Sylvain Métille, Face Recognition Technology in Swiss Law Enforcement, Deployment, Legal Basis and Super-Recognizer-Centered Solution, PJA 2/2024, p. 128 ss.
Alors que le fossé entre le progrès technologique et la législation s’accroît constamment, cette contribution vise à déterminer le champ d’application d’un développement technique régulièrement médiatisé, la technologie de reconnaissance faciale. Cette analyse expose d’abord les potentiels de cette technologie d’un point de vue scientifique avant de l’analyser avec une approche juridique. Les auteurs analysent l’usage de cette technologie ensuite sous le prisme du cadre juridique suisse qui autorise pour l’heure son usage lors de l’accès à des lieux de manifestations sportives ou pour la surveillance des frontières internationales.
En conclusion, il est rappelé l’importance d’une approche centrée sur l’humain respectant le droit à l’autodétermination informationnelle. Cette contribution démontre la nécessité croissante d’un travail multidisciplinaire pour appréhender le domaine du numérique, un secteur dont l’évolution reste en dissonance avec la dynamique législative. La mise en garde des auteurs correspond d’ailleurs aux préoccupations actuelles portant sur la nécessité d’un cadre législatif protégeant les droits fondamentaux sans entraver certains développements utiles à la société.
Droits réels
Michel Mooser, Le blocage du registre foncier, Jusletter du 6 mai 2024
Professeur de droits réels à l’Université de Fribourg et notaire, Michel Mooser est l’auteur de très nombreuses contributions. Dans celle-ci, l’éminent spécialiste inventorie les principaux aspects du blocage au registre foncier. Il en dessine les pourtours en définissant la notion de blocage au registre foncier, la procédure à suivre, les effets du blocage et sa fin. Cette possibilité, prévue à l’article 56 de l’ordonnance sur le registre foncier, empêche le conservateur de procéder à des opérations dans un feuillet du grand livre.
Ce blocage a pour objectif de protéger la personne en bénéficiant. Il en résulte que toute modification de la situation juridique de l’immeuble à son détriment ne peut pas être opérée durant un certain laps de temps. Ce bref exposé mérite d’être salué pour sa précision et son efficacité. Il permet d’obtenir un rapide aperçu de cet instrument juridique redoutable en raison de sa portée sur le droit de la propriété. Ce procédé reste toutefois indispensable pour protéger les individus, notamment dans le but de protéger le conjoint en cas de suspension de la vie commune.
Droit pénal
Fabian Teichmann, Dimitri Gaffuri, I confini del falso intellettuale: I rischi (penali) della sot-toscrizione al buio, forumpoenale 2/24, p. 124 ss.
Si le faux matériel ne semble pas poser de problème de qualification, la notion de faux intellectuel, soit l’établissement d’un document comportant des faits faux, demeure plus difficile à appréhender. Fabian Teichmann et Dimitri Gaffuri proposent donc une exploration aux confins du faux intellectuel en présentant les risques pénaux pour le signataire d’un faux intellectuel ayant omis d’en prendre connaissance. Dans un premier temps, les auteurs dissèquent la notion de faux intellectuel. Ils passent ainsi en revue la force et la valeur probante de l’écrit, sa portée juridique en tant qu’acte générateur de droits et d’obligations ou l’écueil entre les faits et leur description.
Un descriptif qui pourrait ainsi intégrer les contrats si tant est que les éléments inexacts portent sur des faits, et non sur une manifestation de volonté. La deuxième partie de cette contribution est consacrée à la question centrale avec la mise en exergue des difficultés à délimiter l’animus deliquendi du signataire, sachant que seul le dol éventuel saurait être retenu dans ce cas de figure. Le dernier chapitre est consacré à la punissabilité du rédacteur. Cette analyse est bienvenue et offre un intéressant tour d’horizon sur la jurisprudence sur le faux intellectuel.