1. Introduction
Outil de réconciliation et de pacification sociale, la justice restaurative (ci après: JR) est née il y a une cinquantaine d’années dans les pays anglo-saxons avec le but de mieux répondre aux besoins des victimes et de responsabiliser l’auteur en vue d’un changement de comportement. En Suisse, cette nouvelle forme de justice a éveillé l’intérêt du législateur avec son introduction possible au sein du nouveau Code de procédure pénale, actuellement discutée au Parlement. Deux associations, l’AJURES et le Swiss RJ Forum, ont contribué à l’essor de ces pratiques sur le territoire helvétique. Chacune mène, depuis quelques années, des projets pilotes, notamment en partenariat avec des établissements pénitentiaires1.
Toutefois, malgré ces récentes évolutions, le déploiement de la JR éveille parfois du scepticisme, de la méfiance et des craintes de la part des professionnels de la protection des victimes, de la justice et des milieux carcéraux. En effet, ceux-ci s’inquiètent des risques que de tels procédés pourraient faire encourir à la victime, en particulier lorsqu’il s’agit de crimes graves ou de violence domestique2. Les résultats prouvés scientifiquement3 en termes de diminution de la récidive et d’apaisement des victimes ne suffisent pas, semble-t-il, à apaiser ces peurs. Ce travail a pour vocation de mettre en lumière les risques possibles de retraumatisation des victimes lors de processus restauratifs, afin de démêler les craintes infondées des dangers réels.
La question touche en particulier à la prise en charge des victimes de violence, c’est-à-dire de crimes particulièrement graves et potentiellement traumatisants. Précisons toutefois que les délits considérés comme «moins graves», tels que les cambriolages ou les vols, peuvent être tout aussi mal vécus par les victimes qui présenteront alors des symptômes et des besoins proches de ceux touchés par des crimes dits «plus graves»4.
1.1 Les victimes au cœur de la justice restaurative
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de poser brièvement les bases de la justice restaurative, sa philosophie et le but de cette nouvelle approche. En effet, pourquoi vouloir faire se rencontrer un auteur et une victime potentiellement traumatisée ou fortement marquée par son vécu? Quelle est la plus-value et la raison d’être d’un tel outil? La JR propose de remettre la victime au centre de la procédure pénale et vise à répondre à ses besoins spécifiques, tels qu’ils ont été définis par le criminologue américain Howard Zehr5. Les processus de JR permettent également d’accompagner l’auteur dans certains de ses besoins, notamment celui de prendre la responsabilité de ses actes, en sortant d’une tendance à la minimisation des faits et en permettant l’humanisation de la victime.
Mais peut-on proposer la JR à toutes les personnes ayant subi un tort et, en particulier, aux victimes de violence, dont le traumatisme peut être important? Le Forum européen pour la justice restaurative (EFRJ) répond positivement à cette question. Pour ce réseau qui regroupe organisations, professionnels, chercheurs et académiciens spécialisés dans le domaine, toutes les victimes de petits ou grands délits devraient avoir l’opportunité d’entrer dans un processus restauratif. Elles devraient également avoir le choix du dispositif, c’est-à-dire que les possibilités restauratives soient assez larges pour pouvoir répondre aux besoins et aux contraintes spécifiques à leur situation. Si une rencontre directe victime-auteur n’est pas possible ou souhaitée, la participation à des cercles restauratifs (qui réunissent victimes et auteurs d’un même type de délit) ou à un dialogue indirect (où le médiateur fait l’intermédiaire entre l’auteur et la victime) devrait pouvoir être proposée. Dans l’idéal visé par l’EFRJ, la justice restaurative devrait faire partie des droits fondamentaux des victimes.
1.2. Des critères d’exclusion controversés
Dans les faits, en revanche, certains Etats ont mis des garde-fous et interdisent les processus restauratifs ou les médiations dans le cadre de violence conjugale (où il peut y avoir un important déséquilibre de pouvoir), de viol ou de délits graves passibles, par exemple, de plus de cinq ans d’emprisonnement6. Ces situations sont considérées comme potentiellement dangereuses pour la victime pour des raisons que l’on détaillera plus loin. D’autres critères d’exclusion établis par certains pays européens se réfèrent à l’âge des personnes ou à des situations de handicap qui entraveraient, selon les législateurs, le bon équilibre du processus7.
Pour le Forum européen, cette approche est trop réductrice et nie les bienfaits que la justice restaurative peut apporter, même dans les cas les plus graves8. En effet, il estime que les critères ne devraient pas se baser sur la nature des crimes ou les spécificités des victimes, mais sur le respect de leurs besoins psychiques individuels, indépendamment de leur singularité personnelle ou de la gravité du méfait.
Toutefois, il est évident que la justice restaurative n’est pas destinée à tous les cas, le point de départ réside dans la volonté de la victime et de l’auteur d’entamer une telle démarche. Il existe par ailleurs des critères minimaux indispensables à tout processus9: le volontariat (consentement libre et éclairé des participants), la responsabilité assumée de l’auteur (les faits sont reconnus par lui), la bonne foi (pas d’agenda caché), la confidentialité.
Néanmoins, ces conditions de base ne suffisent souvent pas à rassurer les personnes sceptiques face à la JR, en particulier lorsque les victimes ont subi des violences graves. Il s’agit ici de regarder de plus près les arguments des détracteurs, de prendre en compte les craintes que suscitent ces nouvelles approches, afin de créer un pont et un espace de discussion permettant de répondre à ces préoccupations légitimes. Les éléments ci-après sont basés sur un corpus d’interviews qualitatives10, de lectures multidisciplinaires, de conférences et de cours11 suivis dans le domaine de la justice restaurative.
2. Risques et moyens de prise en considération
2.1 La victimisation secondaire
Une crainte souvent exprimée par les milieux proches des victimes est celle de la victimisation secondaire, concept développé par le clinicien américain Martin Symonds, qui a été parmi les premiers à identifier l’apparition de «blessures secondaires» à la suite du crime12. Il s’agit de maladresses commises de manière non intentionnelle par les proches ou les représentants du système (judiciaire, policier, médiatique, médical, éducatif, etc.) en voulant aider les victimes. Voici quelques exemples de comportements pouvant mener à une victimisation secondaire: on ne croit pas la personne, on minimise son traumatisme, on lui attribue une responsabilité pour ce qui s’est passé, on associe son malaise à son état de santé mentale, on diminue son estime de soi (par des phrases dévalorisantes ou en la surprotégeant), etc. Ces attitudes inadaptées peuvent avoir pour conséquences d’aggraver les symptômes déjà existants et de favoriser l’apparition ou la persistance du stress post-traumatique.
Il est donc important que l’intervenant en JR agisse de façon appropriée dans ses relations avec la victime et qu’il soit particulièrement attentif à ces points lors des rencontres restauratives avec l’auteur. En ce sens, une préparation adéquate des participants au processus est indispensable, ainsi qu’une formation solide de la part du facilitateur en JR.
2.2 Le remake
Une autre inquiétude couramment énoncée concernant les dialogues directs entre un auteur et sa victime est qu’il se rejoue, lors de la rencontre, la même dynamique relationnelle que celle vécue durant le crime. Dans un tel cas de figure, la personne qui a subi des violences pourrait voir son traumatisme réactivé par la répétition du même scénario relationnel qui s’est produit au moment des faits, ce qui n’aurait rien de guérisseur, bien au contraire. Les intervenants en JR doivent donc être formés et sensibilisés aux différentes dynamiques psychologiques liées aux crimes, afin de ne pas les laisser se reproduire. Il est également nécessaire de travailler en amont avec la victime, pour connaître le mécanisme relationnel lié à sa situation spécifique et en impliquant, si cela s’avère pertinent, la personne en charge de son suivi psychologique.
2.3 L’emprise
La crainte qu’il puisse se jouer une dynamique d’emprise lors du processus restauratif est très présente chez les professionnels du monde judiciaire et de l’aide aux victimes, en particulier lorsqu’il s’agit de situations de violence conjugale ou de violences répétées.
Selon Sophie Aquilon, responsable du Service d’aide aux victimes du canton de Neuchâtel, il est important de connaître l’ambivalence d’une personne victime de violence conjugale, sa tendance à se culpabiliser, à se blâmer et à minimiser les faits. Si l’intervenant en JR n’est pas sensibilisé et attentif à ce phénomène, il risque – au nom du libre arbitre et du pouvoir accordé aux parties – de laisser se jouer une dynamique néfaste et non équilibrée pour la personne violentée. En effet, celle-ci peut se saboter elle-même en raison d’une confiance en elle abîmée. Elle peut aussi avoir peur de l’auteur et des représailles qu’elle pourrait subir. Cette tendance peut aussi s’exprimer en l’absence de la personne violente, lors des entretiens préparatoires. Il est donc nécessaire que les facilitateurs en JR connaissent les étapes du cycle de la violence conjugale et soient capables de repérer les situations d’emprise, qui ne concernent pas tous les cas, mais ceux où la relation de couple est clairement asymétrique. Ceux-ci doivent aussi prendre le temps de vérifier la solidité des engagements pris par la victime, ce qui fait d’ailleurs partie de leur travail de base de clarification.
Selon Xavier Pitteloud, spécialiste de la prise en charge des violences conjugales pour Alternative-violence à Caritas Valais, 80% des cas de violences conjugales répondent à une dynamique de couple symétrique, avec un certain équilibre des forces entre partenaires, et peuvent potentiellement être traitées en thérapie de couple, en médiation ou en JR. En revanche, dans le 20% des cas où la relation est clairement asymétrique avec un auteur dominateur face à une victime en position basse, en état de constante conciliation, une rencontre restaurative est clairement contre-indiquée.
En effet, en ressortant de ce lieu égalitaire, l’homme maltraitant, dans son besoin de contrôle, est susceptible de vouloir rétablir «l’ordre des choses» pour retrouver sa position initiale de domination. Dans ces cas-là, le risque d’augmentation des violences après les séances est considéré comme assez important pour que Caritas Valais n’entame jamais de thérapie de couple dans les cas de violence complémentaire (asymétrique).
Les intervenants en JR doivent donc être sensibilisés à ces risques et aux dynamiques possibles au travers de formations adéquates, afin de distinguer les situations médiables des autres. A noter que la justice restaurative, en cas de violence conjugale, est utilisée dans certains pays, notamment en Allemagne, dans le but de faciliter la relation parentale, lorsque le couple a des enfants.
2.4 La manipulation
D’autre part, les personnes sceptiques face à la justice restaurative dénoncent les risques de manipulation du processus, qui peuvent se conjuguer sous plusieurs formes: la manipulation de la procédure judiciaire, du médiateur et de la victime.
2.4.1 de la procédure judiciaire
En effet, certains craignent une manipulation de la procédure judiciaire par l’auteur dont l’intérêt premier serait, en entrant dans un processus restauratif, de faire preuve d’un comportement exemplaire pour obtenir une réduction de peine ou éviter une condamnation pénale13. S’il est naïf de penser que cette dimension n’entre jamais en jeu, cela ne doit pas être le moteur principal de la motivation de l’auteur. Un tel état d’esprit, dénué de sincérité et motivé par un agenda caché, serait préjudiciable à la victime qui se retrouverait une nouvelle fois instrumentalisée. En revanche, il serait également utopique de demander à l’auteur d’être dans une posture de totale acceptation de sa responsabilité car la démarche restaurative sert justement à l’accompagner sur ce chemin, en lui permettant de mesurer l’impact de ses actes et au final d’en assumer la responsabilité. Dans ce cadre, la victime peut symboliquement redonner le poids du crime à celui qui a commis le tort et se libérer des sentiments de honte et de culpabilité qui accompagnent souvent les traumatismes. Exiger de l’auteur d’assumer pleinement ses actes et d’agir par pur altruisme dès le départ ne serait pas réaliste. Il s’agit donc de distinguer une motivation initiale potentiellement égocentrée de la part de l’auteur d’une manipulation volontaire et cynique du processus par ce dernier.
Par ailleurs, en cas d’intervention avant jugement, il est indispensable d’être conscient des délais légaux pour éviter une potentielle instrumentalisation des démarches, en vue de dépasser les délais de prescription ou de dépôt de plainte.
2.4.2 du médiateur pénal
Le risque que le professionnel en JR soit manipulé par des auteurs de crimes graves qui auraient par exemple un profil de pervers narcissique est un autre écueil. La psychiatre Isabelle Lyon-Pages qui a mené des expertises psychiatriques en milieu carcéral rappelle qu’une personne perverse narcissique peut être tout à fait aimable et adorable, elle sait séduire en cachant sa vraie nature. Le médiateur pénal doit donc être capable de reconnaître les signes de manipulation tout en gardant une posture d’ouverture et de non-jugement indispensable au processus restauratif. Pour que celui qui a commis le tort puisse s’ouvrir, il est important qu’il se sente respecté, qu’il soit vu dans sa globalité au-delà des étiquettes stéréotypantes et réductrices associées à son infraction14. Le médiateur est donc formé pour ne pas être influencé par ses préjugés. Mais il doit aussi être en mesure de repérer d’éventuelles tentatives de manipulation grâce aux outils de clarification qu’il a appris à manier et au travers d’une formation adéquate. De plus, une caractéristique importante d’une personne perverse narcissique est son incapacité à ressentir de l’empathie, à se mettre émotionnellement à la place de l’autre. Dans un tel cas, le candidat ne remplirait pas les critères de base pour entrer dans un processus restauratif, qui exige un minimum d’empathie de la part de l’auteur.
2.4.3 de la victime
Enfin, pour éviter tout risque de manipulation de la victime, il s’agit de mener une sélection fine en amont des auteurs prêts à entrer dans un processus. Dans le cadre des projets restauratifs menés en milieu carcéral en Suisse, une présélection est toujours initiée par le personnel pénitentiaire, qui côtoie les détenus au quotidien15. Il s’agit ensuite de préparer chaque protagoniste de manière adéquate, via une construction minutieuse du dialogue victime-auteur. «Au moment de la rencontre, tout est balisé, relate Claudia Christen-Schneider, présidente du Swiss RJ Forum. Les participants savent de quoi ils vont parler, dans quel ordre, qui va commencer. Ils connaissent le but de la démarche et les questions «taboues» qu’ils ne souhaitent pas aborder. C’est un moment souvent magique et libérateur.» L’intervenant en JR doit aussi être clair et cadrant au moment de la rencontre pour éviter tout phénomène de manipulation, qui mènerait la victime à accepter un accord ou une description de la réalité biaisée en faveur de l’auteur. Relevons aussi que les peurs de manipulation de la personne lésée peuvent parfois naître d’une vision «paternaliste» qui considère la victime comme intrinsèquement faible et influençable.
2.5 Une approche trop égalitaire de la part du tiers
Il existe également un débat concernant la posture du facilitateur en JR qui se distinguerait d’une posture habituelle de médiation civile. Tous les intervenants en justice restaurative ne sont pas forcément médiateurs, néanmoins beaucoup de médiateurs pratiquent la justice restaurative et cela depuis les débuts du mouvement et les rencontres directes victimes-auteurs sont affublées du titre de médiation pénale ou carcérale dans plusieurs pays, ce qui brouille encore les cartes.
Certains estiment qu’il est nécessaire de différencier clairement les processus restauratifs ou médiations pénales – qui traitent principalement du tort causé lors d’une infraction – de la médiation civile – qui gère des conflits interpersonnels souvent alimentés par des incompréhensions et des responsabilités partagées16. Ils s’inquiètent que les présupposés égalitaires de la profession de médiateur ne jouent un rôle contreproductif lors d’un processus restauratif, en minimisant, par exemple, la responsabilité de l’auteur et en ne prenant pas assez en compte les besoins spécifiques des victimes.
Si en médiation civile, le principe d’égalité entre les parties est fondamental, l’approche restaurative17 porte un regard plus nuancé avec, d’un côté, un auteur qui a commis le tort et, de l’autre, une victime qui l’a subi. L’auteur a une dette morale envers la victime que le processus restauratif vise à contrebalancer. Une approche trop neutre de la part du tiers pourrait être dommageable à la personne qui a subi le tort18 et mener à une potentielle victimisation secondaire.
D’autre part, l’intervenant en JR (ou médiateur pénal) est sensé agir sur le processus, afin de favoriser la prise de responsabilité de l’auteur, ce qui peut être en contradiction avec la posture non interventionniste d’un médiateur civil.
Etre conscient de ces nuances est, à mon sens, important et permet une adaptation rapide du médiateur. Toutefois, il ne s’agit pas de tomber dans le manichéisme. Il serait tout autant contreproductif d’utiliser une approche inéquitable ou trop peu balancée dans des affaires complexes où les torts sont partagés, comme on le constate parfois en justice pénale des mineurs.
2.6 La surprotection
Le risque, à force de vouloir protéger la personne qui a subi le tort, est de finir par… trop la protéger, ce qui aurait pour conséquence de la maintenir dans son statut de victime et d’entraver, par là-même, sa reprise de pouvoir, son empowerment, anglicisme souvent utilisé pour signifier l’émancipation, le renforcement de la capacité d’action et de l’autonomie. C’est parce qu’elle est vue en tant qu’individu ayant des ressources et pas seulement comme «victime qu’il faut défendre» que celle-ci va pouvoir dépasser le statut «de celui qui a subi» imposé par l’infraction dont elle a fait les frais.
L’émancipation et la reprise de pouvoir de la victime est une composante essentielle du processus restauratif. Pouvoir parler en son nom, poser ses propres questions à l’auteur (et non par le biais d’un avocat), être au cœur d’un processus qui sera à son écoute est important pour la reconstruction d’une estime de soi potentiellement abîmée par le crime. Une attitude paternaliste ou surprotectrice pourrait entraver cette reprise de pouvoir.
Il est aussi important de prendre en compte la complexité des réalités et de sortir d’une vision simplificatrice avec, d’un côté, une «gentille victime» qu’il faut protéger et, de l’autre, un «méchant auteur» dont il faut se méfier. Le débat autour de la protection des victimes, s’il se base sur des arguments légitimes, est également teinté, avec plus ou moins de force, de ces présupposés. Or, la posture ouverte et sans préjugé du praticien en JR permet l’émergence du «parler vrai», essentiel en justice restaurative.
2.7 Des outils
Ces risques sont connus des professionnels de justice restaurative et des outils existent pour y répondre, parmi eux: l’évaluation des risques à travers une écoute répétée de la victime et un respect profond de ses limites et ses besoins, le travail en réseau avec des psychologues et autres professionnels, le dépistage possible du syndrome post-traumatique19, une préparation adéquate de l’auteur20, ainsi que la diversification des outils restauratifs qui permet de prendre en compte les besoins spécifiques des personnes blessées par le crime: médiation victime-auteur, cercle thématique incluant des personnes ayant vécu des crimes similaires, conférence incluant l’entourage ou des membres de la société impactés par le crime, etc.
3. Conclusion
S’il est utile de connaître les risques inhérents à la prise en charge des victimes de violence afin de les adresser, il ne faut pas oublier les effets profondément bénéfiques qu’amène la justice restaurative, y compris dans les cas graves (homicides, terrorisme, violences sexuelles et domestique, etc.). En effet, la recherche21 montre que ces processus apportent aux victimes le sentiment de reprendre le contrôle de leur vie, de retrouver leur dignité ainsi qu’une réduction de l’anxiété. Les études ont également démontré que, au terme des parcours restauratifs, les personnes affectées par un crime ont généralement une perception plus réaliste de ce qui s’est passé, un sentiment accru de sécurité et de justice et font part d’un haut degré de satisfaction. De plus, le niveau de respect des accords conclus est élevé. Les craintes face aux démarches restauratives ne devraient donc pas priver les victimes de l’opportunité d’entrer dans un processus réparateur, si tel est leur souhait.
Inversement, les résultats positifs des études et des méta-études ne doivent pas mener les professionnels du domaine à minimiser les risques qui peuvent exister et qui doivent être pris en compte dans l’élaboration des processus. En effet, il serait inadéquat d’ignorer les réticences que ces nouveaux outils éveillent en les considérant uniquement comme le fait d’une méconnaissance des pratiques restauratives ou de craintes face à la nouveauté. Être conscient des écueils et des risques qui jalonnent le parcours restauratif permet non seulement de les prendre en considération, mais aussi de sortir d’un certain dialogue de sourds entre les tenants de la JR qui espèrent développer ces procédés et les sceptiques, inquiets des dérives et des effets potentiellement destructeurs de telles démarches. Nous sommes face à un changement de paradigme assez fondamental qui doit être accompagné d’un dialogue sain entre les différentes positions. Ces échanges permettront l’émergence d’une nouvelle manière de faire justice, non pas pour remplacer l’ancienne, mais pour l’enrichir.
1 Fondée en 2015, l’Association pour la justice restaurative en Suisse, l’AJURES, propose des rencontres directes entre l’auteur d’un délit et sa victime, sous forme de médiations pénales ou carcérales en Suisse romande. De son côté, Le Forum suisse pour la justice restaurative, Swiss RJ Forum, créé en 2017, est actif au niveau national et utilise divers outils restauratifs, comme des cercles de parole qui permettent à des auteurs et des victimes d’un même type de délit de se rencontrer en groupe ou des rencontres directes victimes-auteurs.
2 L’opinion exprimée par Beat Oppliger, président de la Conférence des procureurs de Suisse dans la NZZ am Sonntag, le 14.4.21, p. 17.
3 Craig Dowden, Jeff Latimer et alii, The effectiveness of restorative justice practices: a meta-analysis, Sage Publications, The Prison Journal, Vol. 85 No 2, June 2005, Lawrence W. Sherman, Heather Strang, Restorative justice: the evidence, The Smith Institute, 2007 , Barak Ariel, Evan Mayo-Wilson et alii, Restorative Justice Conferencing (RJC): Using Face-to-Face Meetings of Offenders and Victims. Effects on Offender Recidivism and Victim Satisfaction, A Systematic Review, Campbell Systematic Reviews, 2013.
4 Howard Zehr, Changing Lenses: Restorative Justice for our Times, Herald Press, Harrisonburg, 1990, 4e éd., 2015, p. 30.
5 Le besoin d’information (Pourquoi moi? Pourquoi cela s’est-il produit? Aurais-je pu l’éviter? Que s’est-il passé exactement?), le besoin de se raconter (expression de la souffrance, des émotions, des sentiments, du vécu), le besoin de sécurité (obtenir des garanties, que ce qui a été vécu ne se reproduira pas, ni envers soi ni envers d’autres), le besoin d’agir (pouvoir parler en son propre nom et prendre une part active dans le processus). Il existe aussi le besoin de compensation, de réparation sous une forme ou une autre, financière ou en actes. S’il est souvent impossible de tout réparer, l’idée est de retrouver une forme d’équilibre. Enfin, les victimes ont besoin de faire l’expérience d’une forme de justice à travers l’expression de la vérité (ou d’un récit qui se recoupe et qui fait sens) et la reconnaissance que l’événement délictueux n’était pas «juste» et n’aurait pas dû se produire. Zehr, op. cit., pp. 31-35.
6 Emanuela Biffi, Practice Guide for RJ Services . The Victims’ Directive: Challenges and opportunities for Restorative justice, European Forum
for Restorative Justice, Leuven, 2016, p. 40.
7 Biffi, op.cit, p. 40 s.
8 «Le Forum européen EFRJ, ainsi qu’un certain nombre de ses membres à travers l’Europe, a coordonné plusieurs recherches qui démontrent que la justice restaurative peut être adaptée à différents contextes criminels, par exemple aux violences sexuelles ou domestiques, au terrorisme ou dans des cas impliquant des mineurs.» [ma traduction] Biffi, loc. cit.
9 Art. 12, Directive 29/2012/UE établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de criminalité. Ladite directive concerne aussi les services de justice restaurative.
10 Personnes interviewées: Sophie Aquilon – responsable du SAVI, Service d’aide aux victimes et centre LAVI, du canton de Neuchâtel, Claudia Christen-Schneider – criminologue, médiatrice, formée en justice réparatrice – présidente du Swiss RJ Forum, Ana Faustino – collaboratrice au Centre LAVI de Lausanne, Dr Isabelle Lyon-Pages – psychiatre-psychothérapeute à Lausanne, Camille Perrier Depeursinge – présidente de l’AJURES – professeur de droit pénal à l’Université de Lausanne, Xavier Pitteloud – spécialiste de la prise en charge des violences conjugales pour Alternative Violence à Caritas Valais, Catherine Renaville – médiatrice indépendante en Suisse spécialisée dans la JR après avoir travaillé en Belgique pour des services de médiations pénales financés par le Ministère de la justice, Florence Studer – médiatrice FSM/ASM et responsable du CAS et du DAS Médiation à l’Université de Fribourg.
11 Lours et conférences: Birgitt Haller, Veronika Hofinger, Justice restaurative et violence entre partenaires, formation, Bienne, 23-24.1.2020.
Claudia Christen-Schneider, Justice restaurative et violences sexuelles, conférence, Fribourg, 15.11.19. Jacques Dallest, Olivier Jornot and alii.,
La médiation pénale et la justice restaurative – regards croisés de deux procureurs généraux, Table ronde, Genève, 28 novembre 2019.
Journée d’études du Master Médiation de l’Université Lumière Lyon 2, La justice restaurative, Lyon, 22.5.19. Table ronde avec Frédérique Bütikofer Repond – présidente du Tribunal pénal de la Gruyère, Nicolas Quéloz – professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Fribourg, Franz Walter – directeur des Etablissements de détention fribourgeois, dont fait partie le pénitencier de Bellechasse qui mène un projet pilote de justice restaurative, Gérard Demierre – médiateur au Bureau de la médiation pénale pour mineurs du canton de Fribourg, dans le cadre de la diffusion du film, Je ne te voyais pas, de François Kohler, Fribourg, 9.11.19. Nathalie Uhlmann, Exploration autour de la manipulation dans la médiation, cours, Villars-sur-Glâne, 6.9.19.
12 Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec, Lutter contre la victimisation secondaire,
une question de droits, http://www.agidd.org/wp-content/uploads/2013/11/AGIDD_SMQ_victim.pdf, 2010 (consulté le 15.7.2020), pp. 4-6.
13 Par exemple, en cas de processus avant jugement comme cela se fait en Belgique.
14 Certains praticiens en justice restaurative évitent pour cette raison d’utiliser les termes «victime» et «auteur» et les remplacent par « la personne qui a commis le tort» et «la personne qui a subi le tort», le but étant de sortir des concepts qui enferment.
15 Les professionnels en JR vérifient ensuite à leur tour la fiabilité de la personne candidate.
16 Pascale Hadimann, Catherine Jacottet Tissot et alii., Justice restaurative et médiation, Plaidoyer (n° 5; pp. 38-42), 2018.
17 Deux professionnels écossais, Derek Brookes, consultant et formateur en justice restaurative, et Ian McDonough, médiateur professionnel et formateur ont défini les composantes essentielles pour qu’un processus soit de nature restaurative. La question n’est pas de trouver un terrain d’entente, mais de fournir un espace permettant l’expression de la souffrance et du tort causé, la reconnaissance par l’auteur de sa responsabilité, l’expression de remords sincères et, enfin, l’engagement éventuel de l’auteur de s’acquitter d’une tâche réparatrice (mais ce ne sera pas
le point central). Derek Brookes, Ian McDonough, The Differences Between Mediation and Restorative Justice/Practice,
www.researchgate.net/publication/335704100_The_Differences_between_Mediation_and_Restorative_JusticePractice, 2006,
(consulté le 3.3.2020).
18 Brookes, McDonough, op. cit.
19 J. Attal J., Post-traumatic Stress Disorder Checklist Scale – PCL, https://ifpec.org/wp-content/uploads/2018/09/IFPEC-PCL-.pdf (consulté le 7.6.2020).
20 Il s’agit de s’assurer que l’auteur reconnaît les faits; être clair avec lui que même s’il pourra partager son vécu et le contexte dans lequel il a commis l’infraction, le but premier de la rencontre est d’ordre réparateur (prendre la responsabilité de ses actes, entendre les conséquences de ses agissements, reconnaître le tort causé, éventuellement s’excuser, réparer et agir pour le futur, symboliquement ou de manière concrète).
21 op. Cit.. Biffi, p. 6.