Le 8 janvier 1999, le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la liberté de religion et de conviction Abdelfattah Amor s’indignait devant le traitement réservé aux femmes en Afghanistan1: «L’illustration (des atteintes affectant les femmes) la plus tragique a trait, en Afghanistan, à la politique des talibans à l’encontre des femmes: il s’agit en l’occurrence d’un véritable apartheid contre les femmes, en raison de leur statut de femme, et en vertu de prétendues interprétations de l’islam.
Conformément à cet obscurantisme, produit d’un extrémisme religieux alliant à la fois le religieux et le politique à des fins de pouvoir, la femme est exclue de la société dans une zone de non-citoyenneté et de non-droit, dont la règle est la soumission de la femme à l’homme tout-puissant au nom de Dieu.»
Dans un rapport publié le 20 juin 20232, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, Richard Bennett, proposait de modifier l’art. 7 ch. 2 let. h du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui traite du crime d’apartheid, pour réprimer l’apartheid sexuel. Dans sa mouture actuelle, cette disposition qualifie de crime contre l’humanité le système d’apartheid en référence au régime politique sud-africain entre 1948 et 1991. Cette notion peut se résumer en trois points, soit un système d’oppression d’un groupe racial sur un autre, des actes inhumains (meurtre, torture, viol) et l’intention de maintenir ce régime.
Outre le Statut de Rome, deux autres instruments internationaux condamnent spécifiquement l’apartheid. D’abord, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 21 décembre 1965. La Suisse y a adhéré tardivement, soit le 29 novembre 1994, principalement en raison de ses liens économiques avec le régime de l’apartheid. Puis la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid adoptée en 1973 que la Suisse n’a jamais ratifiée pour les sombres raisons évoquées plus haut.
Aussi les possibilités de sanctionner l’apartheid sexuel ne manquent pas.
Hors de l’Organisation des Nations Unies, des personnalités de la société civile s’organisent pour dénoncer les régimes iraniens et afghans. Au mois de février 2023, un collectif de juristes composé de fortes personnalités comme la lauréate du Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi et la secrétaire générale de la Ligue du droit international Linda Weil-Curiel publiait une tribune dans Le Monde appelant la communauté internationale à sanctionner tout système d’apartheid sexuel.
Fin juillet 2023, l’ancien champion du monde de boxe Mahyar Monshipour et Shirin Ebadi ont adressé un courrier au Comité international olympique (CIO) demandant l’exclusion de l’Iran des JO 2024 pour violation du principe de non-discrimination dans le sport.
Certes, les outils sont là et la société civile semble prête à soutenir des sanctions internationales. Toutefois, le climat international tendu ne favorise pas leur mise en œuvre et l’immobilisme des dernières années atténue l’urgence d’agir. Si le CIO a adressé un avertissement au Comité national olympique afghan en conditionnant les modalités de participation de la délégation afghane aux JO 2024 aux progrès réalisés en matière d’accès au sport pour les femmes, son silence sur la situation iranienne dérange. Le 2 et le 3 novembre, l’Iran a même présidé le Forum social du Conseil des droits de l’homme, sans susciter l’indignation des officiels, alors que la répression en république islamique s’intensifie.
1 Rapport E/CN.4/2002/73/Add.2 sur les droits civils et politiques et, notamment, l’intolérance religieuse.
2 A/HRC/53/21.