Le domaine de l’emploi concentre la majorité des cas recensés de discrimination raciale. Il est particulièrement significatif de l’insuffisance des mesures adoptées.2
La Suisse a bien ratifié les instruments internationaux de référence, dont la Convention internationale contre toutes les formes de discrimination raciale et la Convention n° 111 de l’OIT, mais elle ne fait pas figure de bonne élève auprès des organes internationaux qui déplorent, en particulier, la faiblesse de son dispositif législatif.
Ainsi, depuis plus de quinze ans, la Commission d’experts de l’OIT, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies (CERD) et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dénoncent l’absence de définition claire et complète de la discrimination raciale dans la législation, le manque d’interdiction explicite de la discrimination dans l’emploi et le défaut de recours suffisants devant les juridictions civiles3. En novembre 2020, le CERD4 examinera de nouveau la situation de la Suisse et ne pourra que constater que la législation ne répond toujours pas aux exigences internationales.
La Constitution fédérale pose bien le principe constitutionnel de non-discrimination (art. 8 al. 2 Cst.), mais elle ne prévoit ni sanction ni réparation. Ce principe n’est par ailleurs pas concrétisé dans des dispositions spécifiques au contexte de l’emploi. Les travailleur·se·s victimes de discrimination raciale sont donc contraint·e·s d’invoquer les normes générales sur l’atteinte à la personnalité (art. 328 CO) et le licenciement discriminatoire (art. 336 CO) qui n’ouvrent droit qu’à une indemnité très limitée et leur imposent un lourd fardeau de la preuve.
Le droit pénal entend sanctionner la discrimination raciale et l’incitation à la haine (art. 261bis CP), mais il ne couvre pas les propos tenus en privé et n’a pas vocation à s’appliquer à la relation d’emploi. Ainsi, l’accès à une «prestation destinée à l’usage public» constitue une infraction, alors que la discrimination dans l’accès à l’emploi n’en est pas une (al. 5).
Aujourd’hui, le Conseil fédéral persiste à soutenir que le cadre légal prévoit «globalement une bonne protection», tout en admettant que des normes supplémentaires pourraient être introduites en matière d’emploi.5 Cet immobilisme contraste fortement avec la demande pressante de mettre fin au racisme systémique au travail.
Certaines mesures ciblées permettraient pourtant d’améliorer significativement le dispositif légal en place, parmi lesquelles l’extension de l’art. 261bis CP pour criminaliser la discrimination raciale en lien avec le travail, l’introduction d’une définition de la discrimination raciale dans l’emploi en droit civil, et l’allégement du fardeau de la preuve pour les victimes, à l’instar de ce qui est prévu pour les cas de discrimination à raison du sexe (art. 6 LEg).
De telles réformes permettraient à la Suisse de mettre en œuvre ses obligations internationales et, surtout, profiteraient au grand nombre de travailleur·se·s victimes de discrimination raciale et dépourvu·e·s aujourd’hui d’outils juridiques efficaces.
* Céline Moreau est avocate et consultante pour le Bureau international du travail
1 La notion de «discrimination raciale» est définie à l’article 1 de la Convention internationale contre toutes les formes
de discrimination raciale.
2 Voir enquête statistique, de 2018, de l’Office fédéral de la statistique, Vivre ensemble en Suisse (VeS) et Rapport du Service de lutte contre le racisme, de 2018.
3 Voir notamment «Observations finales du CERD», du 13 mars 2014, CERD/C/CHE/CO/7-9 ; observation adoptée par la CEACR en 2014 sur l’application par la Suisse de la Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958; rapport de l’ECRI sur la Suisse adopté le 10 décembre 2019.
4 ors de sa 102e session prévue du 16 au 24 novembre 2020, le CERD examinera le rapport de la Suisse.
5 apport du Gouvernement suisse au CERD, soumis en 2018.