L'une des mesures les plus importantes de la nouvelle organisation judiciaire fédérale, entrée en vigueur en 2007, résidait dans la limitation du pouvoir d'examen de la Cour des assurances sociales aux questions de droit. Mais cette réforme massive du fonctionnement du Tribunal fédéral suscite de sérieuses critiques.
Dans un domaine aussi sensible que les assurances sociales (qu'on pense par exemple à la fixation des rentes d'invalidité), une seule instance cantonale rend les décisions sur la base de l'état de fait et de son appréciation. De plus, le jugement tombe souvent après un simple échange d'écritures, en l'absence de débats. En comparaison, deux instances ont été maintenues au niveau cantonal pour les affaires civiles et pénales. Au vu de ces éléments, on peut parler d'un recul de la protection juridictionnelle dans le droit des assurances sociales.
Dans le même souci de lutter contre la surcharge du Tribunal fédéral, le Parlement a encore trouvé un moyen de dissuader les recourants potentiels en introduisant des frais de procédure en matière d'assurance sociales.
En outre, la limite de valeur litigieuse a été relevée, quoique dans une mesure moins rigoureuse que le proposait le Conseil fédéral. Elle est ainsi passée de 8000 à 30 000 francs, respectivement 15 000 francs pour les litiges du droit du bail et du travail.
Charge de travail inchangée
Cette réforme équivaut à un coup d'épée dans l'eau. L'élévation de la valeur litigieuse n'a en effet pas amené d'allégement de la charge du Tribunal fédéral, constate une communauté de travail mandatée par le Conseil fédéral et menée par Andreas Lienhard, professeur à l'Université de Berne. Dans un épais «rapport intermédiaire de la phase d'évaluation» de 258 pages, il se base entre autres sur les déclarations de juges et de greffiers. Soixante pour cent d'entre eux ne remarquent pas d'allégement et constatent que leur charge de travail est restée identique ou qu'elle s'est même accrue avec l'élévation de la valeur litigieuse minimale.
Les mesures prises en matière d'assurances sociales obtiennent un score encore moins bon. Soixante-neuf pour cent des juges fédéraux et des greffiers interrogés estiment que la restriction du pouvoir d'examen n'a pas réduit la surcharge de travail, tandis que la proportion passe à septante-neuf pour cent lorsqu'il s'agit d'évaluer l'effet de la nouvelle obligation de participer aux frais de procédure.
Tentatives d'explication
Pourquoi de pareils résultats? Premièrement, les avocats ont trouvé une parade à la limitation du pouvoir d'examen, en basant leurs recours sur une appréciation des faits arbitraire et contraire au droit en première instance.
Ensuite, les juges doivent délimiter les questions de fait et de droit, conformément à l'article 97 de la Loi sur le tribunal fédéral (LTF), ce qui prend du temps. Quant à la nouvelle obligation de participer aux frais de procédure, elle provoque un surplus de dépenses parce que la section du droit des assurances sociales doit maintenant examiner de nombreuses requêtes d'assistance judiciaire.
L'avis du Conseil fédéral
Le Conseil fédéral trouve, malgré tout, que la nouvelle organisation judiciaire a «fait ses preuves pour l'essentiel», bien que la restriction du pouvoir d'examen dans le droit des assurances sociales ait «amené un effet de décharge restreint». En première ligne, c'est la réorganisation des tribunaux et la création du Tribunal administratif fédéral qui ont porté leurs fruits. Le Conseil fédéral attend l'évaluation finale, prévue pour 2013 et ne voit, pour l'heure, pas de raison de modifier la loi.
Le Tribunal fédéral a pris position sur le rapport, sans toutefois se prononcer sur la question de la surcharge. Il exprime une autre doléance: l'unité et le développement du droit ne sont pas garantis de manière suffisante, car plusieurs domaines importants du droit échappent au contrôle du Tribunal fédéral. Pour en juger, il faut se référer au catalogue des exceptions de l'article 83 LTF, qui donne la liste des matières du droit public dans lesquelles un recours est exclu.
Cette liste est longue, allant du contingentement laitier aux décisions en matière de marchés publics, en passant par les droits de douane et l'entraide administrative internationale. Or, il y a parmi ces exceptions, des questions qui «touchent aux intérêts fondamentaux du pays et ont une portée considérable», commente Lorenz Meier, président du Tribunal fédéral, qui donne comme exemple la récente décision d'entraide administrative internationale dans l'affaire UBS/Etats-Unis.
Motion dépassée
Les milieux politiques ont reconnu le problème. Ainsi, le conseiller aux Etats socialiste bâlois, Claude Janiak, déplore que «des amendes bagatelle puissent être contestées devant le TF», alors que l'accès à la Haute Cour de Lausanne n'est possible que de manière limitée dans le domaine des télécommunications, où des millions de francs sont en jeu. Par une motion, le politicien réclame une révision de l'article 83 LTF, qui permettrait au Tribunal fédéral d'entrer en matière sur un recours contre une décision du Tribunal administratif fédéral en matière de droit public, lorsqu'elle «soulève une question juridique de principe ou si elle concerne un cas particulièrement important pour une autre raison». Le Conseil fédéral et le TF soutiennent cette interdiction.
Evaluation intermédiaire
La nouvelle organisation judiciaire fédérale a-t-elle atteint son but? Parallèlement à la vaste enquête sur l'efficacité de la réforme dirigée par le professeur Lienhard, de l'Université de Berne, les professeurs Felix Uhlmann, Giovanni Biaggini et Andreas Auer ont mené une étude sur les éventuelles lacunes de la protection juridictionnelle.
La deuxième étape de l'évaluation, avec des enquêtes et des analyses de données supplémentaires, s'achèvera en 2012. Le Conseil fédéral présentera un rapport final en 2013.