1. Conflits d’intérêts: quid d’un collaborateur qui change d’étude?
L’ATF 145 IV 2182 a été qualifié de «véritable tremblement de terre pour la profession d’avocat»3. Il s’agit en tout cas d’une illustration des difficultés pouvant résulter – dans un marché aussi petit que celui de la Suisse –, des fusions de cabinets d’avocats et de l’agrandissement des études.
Dans le cadre d’une affaire opposant une entreprise plaignante à son ancien employé, une avocate collaboratrice dans l’étude défendant ce dernier a changé d’employeur et a été engagée par l’étude défendant la plaignante. Le nouvel avocat du prévenu a requis qu’interdiction soit faite à tout avocat travaillant dans l’étude défendant la plaignante de continuer à la représenter dans la procédure pénale.
Le TF a souligné que l’incapacité de représentation affectant un avocat (art. 12 let. c LLCA) rejaillit sur ses associés4 ainsi que sur l’ensemble des avocats de l’étude auquel appartient l’avocat lors de la constitution du mandat, sans égard à leur statut. Et «peu importe les difficultés que le respect de cette exigence découlant des règles professionnelles peut engendrer pour une étude d’une certaine taille»5. Quant au changement d’étude d’un collaborateur, le TF retient que «la connaissance par le collaborateur en raison de son précédent emploi d’un dossier traité par le nouvel employeur constitue l’élément déterminant pour retenir la réalisation d’un conflit d’intérêts concret qui doit être évité, ce que permet la résiliation du mandat par le second»6. Ici, le TF retient qu’il est incontesté que l’avocate collaboratrice avait eu connaissance du dossier de l’intimée dans son précédent emploi7, ce qui justifie d’interdire aux avocats recourants, et autres avocats de leur étude, de continuer à représenter la recourante, d’autant que les procédures judiciaires sont encore pendantes, ce qui confirme que «le risque que des données sensibles puissent être – fût-ce par inadvertance – utilisées à l’encontre du recourant n’est pas uniquement «théorique», mais bien concret»8.
Les recourants affirmaient qu’il n’y avait aucun risque concret de conflits d’intérêts, notamment du fait que la collaboratrice ne travaillait pas dans le département de l’étude en charge du dossier, qu’elle n’avait pas d’accès informatique à ce dossier et n’avait pas parlé de son activité préalable. Pour le TF, ces mesures internes ne suffisent pas. Les barrières ou cloisonnements (chinese walls) dans la nouvelle étude «sont généralement impropres à éviter les problématiques liées à l’existence de conflits d’intérêts, faute en particulier de pouvoir empêcher tout échange, p.ex. oral, entre les avocats d’une même étude»9. Les mesures moins incisives sont dénuées de tout contrôle. La nature pénale de la cause est aussi à prendre en compte. Enfin, cette solution garantit à l’avocat collaborateur de pouvoir concilier ses obligations découlant de la LLCA et celles découlant de son contrat de travail10.
Alors que cet arrêt a suscité des critiques, il nous paraît que la solution retenue s’imposait dans les circonstances de l’espèce. Elle s’inscrit par ailleurs dans la continuité de la jurisprudence rendue sur l’art. 12 let. c LLCA et de l’interprétation de l’art. 14 CSD11. Elle rejoint la position de la doctrine exprimée depuis longtemps12. Cela ne nous semble pas refléter une méfiance envers les avocats13. Le critère de la connaissance paraît adéquat. Il permet d’assurer le respect de l’interdiction des conflits d’intérêts, «règle cardinale de la profession14», et d’éviter que le client ne se sente trahi par son avocat. Comme l’exprime le TF – conscient de la sévérité de cette solution –, celle-ci se justifie «eu égard à l’importance de la confiance que doivent pouvoir avoir les mandants dans leurs conseils, soit que les secrets confiés dans le cadre de leur défense ne seront pas transmis à la partie adverse et utilisés ensuite à leur détriment. Cet élément essentiel contribue également à la bonne marche des institutions judiciaires.»15
2. Domiciliation et lieu d’exercice de la profession d’avocat
Le 4 juin 2019, le TF a rendu les arrêts 2C_1083/201716 et 2C_1084/2017 sur la question de la domiciliation de l’avocat et le lieu d’exercice de la profession, questions d’actualité, au vu de l’évolution des modes de pratiquer des avocats. Les faits sont assez similaires17. Le premier concerne une avocate genevoise qui entendait domicilier son étude à l’adresse de B. SA, «plateforme pour des avocats indépendants», offrant divers services selon l’option choisie (recherche du courrier, réception téléphonique, espace de travail, etc.). La Commission du barreau a refusé de procéder au changement d’adresse au registre cantonal, considérant cette domiciliation contraire aux exigences de la LLCA.
Le TF rappelle que l’indépendance structurelle – d’intérêt public – exigée par l’art. 8 al. 1 let. d LLCA18 doit être examinée en fonction de l’organisation concrètement mise en place19. L’avocat ne doit pas se trouver dans une relation de dépendance économique ou autre envers des autorités, des tiers ou des clients. En l’espèce, la recourante, qui exerce en son nom et sous sa responsabilité, recourt au service de B. SA pour la réception de son courrier et entreposer ses dossiers physiques dans une armoire à laquelle elle a seule accès. Elle utilise les moyens de communication offerts par B. lorsque ses clients la contactent sur le téléphone fixe de B. ou à l’adresse info@B.ch. Sinon, elle est atteignable sur son téléphone portable et sa propre adresse e-mail. Pour ses rendez-vous avec les clients, elle peut réserver une salle dans les locaux de B, mais elle rencontre surtout ses clients à l’extérieur. Le fait qu’elle ne peut recevoir de clients que si un local est disponible ne porte pas atteinte à son indépendance, car c’est à elle de juger si cela est suffisant pour ses besoins. En revanche, les conditions générales de B. sont problématiques, car elles protègent davantage les intérêts de B. (par exemple par des clauses d’exclusion de responsabilité) que ceux de la recourante. Ces conditions imposées à la recourante révèlent un réel déséquilibre des rapports contractuels en faveur de B. et placent la recourante dans une situation d’insécurité, qui n’est pas compatible avec l’exigence d’indépendance structurelle20.
Cette obligation, comme celle d’exercer avec soin et diligence, doivent être rattachées au devoir de l’avocat de s’abstenir de créer des apparences trompeuses quant à la manière dont il pratique la profession. En l’espèce, ce risque de confusion existe, car la recourante peut apparaître comme associée ou exerçant dans le cadre d’un groupement d’avocats. Elle doit donc prendre des mesures pour éviter ou limiter ce risque. Elle ne doit, p.ex. pas faire figurer le logo de B. sur son papier à lettres, ni faire apparaître l’adresse info@B.ch dans ses coordonnées professionnelles. Le fait que les téléphonistes de B. soient tenus de répondre «B._bonjour» aux appels est aussi source de confusion. La recourante devrait obtenir de B. qu’un numéro fixe lui soit spécialement attribué, de sorte que le téléphoniste puisse d’emblée identifier le destinataire et répondre au nom de la recourante. Ainsi, en l’état, le système est contraire à l’art. 8 al. 1 let. d LLCA21.
En ce qui concerne le secret professionnel, lorsqu’il recourt à des auxiliaires, l’avocat doit les choisir soigneusement et veiller à ce qu’ils respectent ce secret. Il doit les instruire, cas échéant conclure un accord de confidentialité, et assurer leur contrôle. «Ceux qui collaborent au fonctionnement de l’étude et qui peuvent avoir accès à des secrets dont l’avocat est détenteur du fait de leurs liens contractuels sont des auxiliaires»22, peu importe leur statut. C’est aussi le cas des personnes extérieures à l’étude auxquelles l’avocat confie des tâches (par ex. détective privé, entreprise de nettoyage, traducteur, personne chargée de la conservation des données informatiques). L’importance du secret de l’avocat exige qu’il y ait une limitation raisonnable du cercle de personnes ayant accès aux informations secrètes et que des mesures suffisantes soient prises pour les sécuriser. Un avocat ne doit p.ex. pas accepter qu’un auxiliaire puisse faire exécuter par un tiers des tâches qu’il s’est engagé à lui fournir (sous-délégation)23. En l’espèce, B. doit être considérée comme une auxiliaire de la recourante. C’est donc à celle-ci de veiller au respect du secret par B., ce qui n’est pas assez le cas ici. Il n’y a pas d’engagement écrit de B. de respecter et de faire respecter par ses employés le secret de la recourante. Au contraire, selon les conditions générales, celle-ci accepte que B. limite sa responsabilité aux seuls cas de faute ou de négligence graves. Par ailleurs, les appels sur la ligne fixe de B. sont pris par des employées d’une société mandatée par B. et non par ses propres employés, de sorte que des tiers ont accès à des informations couvertes par le secret24. Dès lors, la structure où la recourante entend pratiquer ne garantit pas le secret professionnel, ce qui est contraire à l’art. 13 LLCA.
Quant à l’exigence de l’art. 5 al. 2 let. d LLCA, le droit fédéral est très souple. L’avocat doit être à même de pratiquer en toute indépendance, dans le respect du secret professionnel, et être accessible aux clients et aux autorités. Cela suppose qu’il puisse disposer d’un local à son adresse professionnelle, une simple case postale n’étant, en l’état, pas suffisante. «Les possibilités offertes par les nouvelles technologies, couplées avec l’utilisation d’ordinateurs et de téléphones portables, font que l’avocat est, à l’heure actuelle, en mesure de communiquer et de travailler en tous lieux. L’augmentation de la concurrence peut aussi pousser des avocats à repenser leur mode d’organisation pour rationaliser leurs coûts et éviter les charges d’une étude traditionnelle.»25 L’avocat est libre d’organiser son activité selon ses besoins pour autant que sa structure lui permette de respecter ses obligations. Le TF constate que, «dès lors, même si les nouvelles technologies lui offrent une mobilité accrue, l’avocat a toujours besoin d’un emplacement physique pour travailler et y rencontrer physiquement ses clients, ce contact demeurant indispensable à la défense des intérêts de ces derniers, même avec les nouveaux modes de communication, ainsi que pour préserver la confidentialité et, partant, le secret professionnel»26. Pouvoir disposer d’un local à l’adresse professionnelle reste donc justifié, même s’il ne faut pas fixer des règles trop strictes. En l’espèce, le fait que la recourante n’ait pas de bureau dédié fait partie du mode d’activité qu’elle a choisi. Dès lors qu’elle a la possibilité de recevoir ses clients dans les locaux de B. et qu’elle est atteignable, il n’est pas exclu que B. puisse constituer une structure suffisante, moyennant le respect des autres conditions citées. Le TF ne rejette ainsi pas, sur le principe, la possibilité de recourir aux prestations d’une société telle que B., mais la recourante doit procéder à des aménagements pour pouvoir exercer conformément aux exigences de la profession27.
Cette jurisprudence a le mérite d’expliciter sous quelle forme les avocats qui n’entendent plus exercer dans des structures traditionnelles peuvent s’organiser, tout en respectant les exigences de la LLCA. On ne peut que se réjouir que notre Haute Cour soit consciente de cette évolution et ne s’y oppose pas sur le principe.
3. Confidentialité des discussions transactionnelles
Dans notre précédente chronique, nous avions signalé28 l’importance de l’interdiction de se prévaloir du contenu des discussions transactionnelles. Dans l’ATF 144 II 47329, le TF distingue selon que ces pourparlers ont eu lieu entre avocats ou entre un avocat et une partie non assistée. En avril 2016, une fratrie s’était réunie suite au décès de leur père afin de discuter du sort d’actions héritées, en présence notamment d’avocats fiscalistes. Cette réunion a été enregistrée par le frère à l’insu des autres personnes présentes. Par la suite, le frère consulte l’avocat X qui produit en justice cet enregistrement, qui a été écarté, le Tribunal civil ayant considéré qu’il s’agissait d’une preuve illicite. L’avocat X a reçu un avertissement pour violation de l’art. 12 let. a LLCA.
Lorsque des discussions transactionnelles sont menées entre avocats, il n’est pas nécessaire que leur caractère confidentiel soit prévu explicitement, les avocats étant automatiquement soumis (art. 6, 26 CSD) au devoir de confidentialité s’agissant du contenu et de l’existence de tels pourparlers. Quid de pourparlers transactionnels entre un avocat et une partie non représentée?30 Cela dépend si la confidentialité a été expressément prévue. Si c’est le cas, l’avocat qui a participé à la discussion avec la partie adverse non représentée, ainsi que l’éventuel avocat consulté par la suite, doivent respecter la confidentialité. La clause de confidentialité est ainsi aussi opposable à l’avocat qui n’a pas participé à ces échanges et est intervenu par la suite31. En revanche, si la confidentialité n’a pas été prévue, l’avocat consulté par la suite peut se prévaloir en justice du contenu de ces échanges. En l’espèce, faute d’avoir été protégées par une clause de confidentialité, les discussions menées en l’absence de l’avocat recourant ne constituaient pas des pourparlers protégés, de sorte que le recourant n’a pas violé son obligation de confidentialité en faisant état du contenu de cet enregistrement.
4. Production par un avocat d’une preuve illicite
En revanche, la violation de l’art. 12 let. a LLCA a été retenue à un autre titre dans cet ATF 144 II 473, qui traite aussi de la production d’une preuve illicite par un avocat. Selon le recourant, son devoir de diligence lui imposait d’entreprendre tout ce qui était en son pouvoir pour défendre son client, ce qui justifiait cette production. Cet argument est rejeté par le TF. Le devoir de diligence de l’avocat lui impose de défendre les intérêts de son client par tous les moyens légaux, de sorte qu’il lui est interdit d’utiliser un moyen de preuve qu’il sait illégal. Dans certains cas, cela pourrait être possible s’il y a de bonnes raisons de penser que «l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant» (art. 152 al. 2 CPC), hypothèse admise restrictivement. En l’espèce, ce n’était d’emblée pas le cas, car l’enregistrement illicite a été déposé à l’appui d’une requête de mesures provisionnelles dans une cause de nature patrimoniale. Or, dans une telle cause soumise à la maxime des débats, l’intérêt à la découverte de la vérité matérielle, qui résulterait d’un moyen de preuve illicite, ne peut prévaloir face à l’intérêt public au respect d’une règle de l’art. 12 let. a LLCA32. «La provenance illicite de l’enregistrement, qui pouvait tomber sous le coup de l’art. 179ter CP, aurait dû inciter l’avocat à faire abstraction de ce moyen.»33 L’avocat doit se montrer digne de confiance dans les relations avec les autorités. Le fait qu’il agit sur instruction de son client ne le libère pas de son obligation d’exercer avec soin et diligence. De plus, la production de cet enregistrement viole ce devoir aussi du fait que l’avocat a ainsi révélé à la partie adverse l’existence de cette pièce, exposant son client au risque que les autres participants à la réunion déposent une plainte pénale contre le frère pour violation de l’art. 179ter CP. Enfin, en conservant et transmettant l’enregistrement au tribunal civil, le recourant a pris le risque d’être lui-même poursuivi pour violation de cette disposition pénale34.
5. Contacts de l’avocat avec un témoin
Dans l’arrêt 2C_536/201835, le TF rappelle qu’un avocat ne doit en principe pas prendre contact avec des témoins potentiels36. Ici, durant la procédure qui a conduit à la condamnation de son client pour lésions corporelles, séquestration, contrainte sexuelle et viols, l’avocat avait eu à deux reprises des contacts avec une victime, potentiel témoin. Or, l’avocat doit s’abstenir de tout comportement pouvant entraîner un risque d’influencer les témoins (art. 12. let. a LLCA; 7 CSD). Des contacts avec un témoin présentent un risque – au moins abstrait – de l’influencer. Ils sont possibles que si, au vu des circonstances concrètes, il existe une raison objective de le faire (p.ex. évaluer les chances de succès d’une procédure, le retrait d’un recours, etc.). De plus, des mesures doivent être prises par l’avocat pour éviter le risque d’influencer le témoin: l’avocat doit proposer par écrit la rencontre; préciser au témoin qu’il n’est pas obligé de donner suite; le client ne doit pas être présent; la rencontre doit avoir lieu si possible dans les locaux de l’avocat et en présence d’une tierce personne. L’avocat ne doit pas exercer de pression sur le témoin, le menacer ou l’inciter à faire un témoignage spécifique. Le fait que c’est le témoin qui était à l’origine de ces rencontres ne change rien, dès lors que l’avocat avait accepté le risque d’influencer le témoin, qu’il n’y avait pas de raison objective justifiant ces contacts et qu’il n’avait pris aucune mesure de précaution. Compte tenu de la situation psychologique particulièrement difficile d’une victime présumée de violences sexuelles, on peut s’attendre que l’avocat fasse preuve d’une diligence accrue. Le recourant a violé l’art. 12 let. a LLCA. Vu ses antécédents, l’interdiction de pratiquer durant une année a été confirmée.
6. Quid de l’interdiction de se prévaloir du titre d’avocat?
Dans ce même arrêt (2C_536/2018), le TF retient que si la loi cantonale ne contient pas de disposition prévoyant l’interdiction de se prévaloir du titre d’avocat, l’autorité cantonale ne peut pas la prononcer. Ainsi, faute de base légale dans la loi saint-galloise, l’autorité cantonale ne pouvait pas interdire au recourant, qui ne s’était pas vu retirer son brevet d’avocat37, de porter le titre d’avocat durant l’interdiction temporaire d’exercer.
7. Comportements incompatibles avec la profession d’avocat
L’arrêt TF 2C_291/201838 admet une interdiction temporaire de pratiquer en raison de violations de la LLCA commises dans cette affaire par un avocat notamment condamné pour tentative de contrainte39. Après avoir affirmé que l’avocat ne saurait totalement s’affranchir de ses règles professionnelles dans le cadre de sa vie privée40, le TF constate notamment que «lors de la tentative de contrainte, le recourant a usé de sa profession, puisqu’il s’est prévalu de son titre d’avocat pour s’adresser à sa locataire». Il a même utilisé le papier à en-tête de son étude et son mail professionnel41. L’art. 8 al. 1 let. b LLCA vise les infractions révélant des faits incompatibles avec l’activité d’avocat, ce qui n’est pas le cas d’un excès de vitesse anodin, mais bien d’un faux dans les titres. Le TF doute que l’infraction à l’art. 117 al. 1 LEtr ne soit pas incompatible avec l’exercice de la profession. Ce qui est certainement le cas d’une condamnation pour tentative de contrainte. Ici, les faits démontrent une pression exercée par le recourant sur sa locataire par l’envoi d’un commandement de payer de 611 325 fr., pour obliger celle-ci à accepter un accord à 20 000 fr. «L’avocat qui détourne un outil légal du droit des poursuites pour contraindre une partie à exécuter une certaine prestation, adopte un comportement incompatible avec sa profession»42, d’autant plus lorsqu’il utilise son titre pour arriver à ses fins. «On attend d’une personne formée à défendre les intérêts des justiciables qu’elle cherche à résoudre le conflit par une solution à l’amiable ou, en cas d’échec, en faisant valoir ses droits dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais, en aucun cas, en cherchant à forcer la partie adverse à lui verser de l’argent en la menaçant d’un dommage pécuniaire et en utilisant pour ce faire sa position d’homme de loi.»43
La condamnation pour des faits incompatibles avec la profession conduisant à la radiation de l’avocat (art. 9 LLCA) est traitée aussi dans l’arrêt TF 2C_226/201844, où l’avocat avait été condamné pour menaces, contrainte et dommage à la propriété. Il avait notamment45 tenu des propos menaçants envers le ferblantier engagé par la propriétaire de l’immeuble voisin de celui de la société qu’il administre, en déclarant p.ex: «Mon père est un gars du Sud. Il a le sang chaud et que si ça doit finir au coup de fusil, cela finira au coup de fusil.» Un avocat qui recourt à l’intimidation, en laissant présager des actes de violence pour résoudre un conflit privé et se rendant coupable de trois infractions, adopte un comportement incompatible avec la profession d’avocat. Les infractions contre l’honneur, le patrimoine et la liberté ne sont pas compatibles avec le comportement attendu des avocats46.
8. Secret professionnel
Dans l’arrêt 1B_264/201847, le TF affirme que l’activité de conseils exercée en vue de constituer une société (choisir sa forme juridique ou le lieu du siège) relève sans équivoque d’une activité typique de l’avocat couverte par le secret professionnel48. Tel n’est pas le cas des pièces tendant ensuite à la constitution proprement dite des sociétés. Dans l’arrêt 2C_879/201849, le TF retient que la rédaction par l’avocat de conventions fiduciaires relève de l’activité typique de l’avocat et pas de celle d’intermédiaire financier non couverte par le secret professionnel. Dès lors, «en s’exprimant dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, par déclaration testimoniale, et en y rappelant les conventions fiduciaires successives, constituant justement le résultat de son activité d’avocat, sans avoir préalablement requis l’accord de l’ensemble de ses mandants pour ce faire», le recourant a violé l’art. 13 LLCA.50
Le TF rappelle, dans l’arrêt 1B_3/201851, que l’envoi à titre de copie52 à un avocat d’un courrier – y compris par courrier électronique – ne suffit pas pour que celui-ci soit couvert par le secret professionnel de l’avocat.
Dans l’arrêt 4A_313/201853, le TF54 relève que le témoignage d’un avocat recueilli en violation du secret professionnel constitue une preuve obtenue illicitement dont l’utilisation est possible aux conditions de l’art. 152 al. 2 CPC. Et le TF semble en faveur de l’application du droit suisse en tant que lex fori lorsqu’un avocat ayant déployé une activité typique à l’étranger est appelé à témoigner dans un procès civil se déroulant en Suisse.
9. Autres violations
Le TF (2C_231/201755) a confirmé l’avertissement infligé à un avocat qui avait violé l’art. 12 let. a LLCA, en désignant sans autorisation dans une réquisition de poursuite, une PPE représentée par deux de ses clients, alors même que la communauté des propriétaires avait clairement pris la décision de ne pas agir contre cette débitrice.
Dans l’arrêt 2C_898/201856, le TF a confirmé l’interdiction de postuler faite à un avocat mandaté par une PPE pour recouvrer les charges impayées de copropriété auprès de deux des quatre copropriétaires, et qui était simultanément mandaté par les deux autres copropriétaires pour agir civilement contre les deux copropriétaires opposés à la PPE. La connexité de ces procédures est assez importante pour que le risque de conflit d’intérêts ne soit pas abstrait. Si une représentation de la PPE contre un copropriétaire est possible, la conjonction en l’espèce de toutes ces procédures crée un risque de conflit d’intérêts effectif57 contraire à l’art. 12 let. c LLCA.
Le TF a rendu une décision (1B_464/201858) rappelant que la facturation d’honoraires à un client au bénéfice de l’assistance judiciaire constitue en principe une violation des devoirs professionnels59 et que la défense dans un mandat d’office ne saurait être de qualité moindre que celle assurée dans un mandat de choix, «sauf à nier tout sens à cette institution et, pour l’avocat désigné, à violer ses obligations professionnelles» (art. 12 let. a et g LLCA)60.
Signalons enfin l’arrêt 4A_52/201961 qui concerne une restitution de délai de l’art. 148 CPC refusée. L’appel avait été déposé tardivement du fait d’une erreur de l’avocat résultant de la différence des jours fériés entre Vaud et Valais (où le 15 août est férié)62. Le TF souligne63 que «le respect des délais fait partie des devoirs élémentaires de l’avocat, lequel est censé non seulement instruire, mais également contrôler la manière dont ses collaborateurs tiennent l’agenda (…). Une défaillance dans l’organisation interne de l’avocat (problèmes informatiques, auxiliaire en charge du recours, absence du mandataire principal) ne constitue pas un empêchement non fautif justifiant une restitution du délai.» Une erreur de calcul de délai commise par un avocat constitue en principe une faute grave64. y
* Dre en droit, LL.M., ancienne chargée de cours en droit et éthique de la profession d’avocat à l’Université de Lausanne.
1 Et rendus publics au 30.6.2019.
2 TF 1B_510/2018 du 14.3.2019.
3 Bacharach, Changement d’étude et conflit d’intérêts, Revue de l’avocat 5/2019, pp. 213 ss., spéc. p. 213. Cf. aussi Nussbaumer, Le conflit d’intérêts en cas de changement d’étude d’un collaborateur, 18.4.2019, www.lawinside.ch/739/.
4 Cf. ATF 135 II 145 c. 9.1.
5 C. 2.2.
6 C. 2.3. Le TF rappelle qu’il a déjà appliqué ce critère de la connaissance pour confirmer l’interdiction de plaider d’un avocat qui avait été le stagiaire, puis collaborateur du mandataire de la partie adverse, «dès lors qu’il ne pouvait être exclu que le premier ait pu travailler sur des dossiers concernant le client du second». (TF 5A_967/2014 du 27.3.2015, c. 3.3.2, 3.3.3).
7 L’autorité intimée a retenu que cette collaboratrice avait eu connaissance du dossier et avait rencontré le client.
8 C. 2.3.
9 C. 2.4.
10 C. 2.5.
11 Cf. spéc. l’art. 14 al. 2 CSD: «Lorsqu’un avocat collaborateur change d’étude ou que des avocats s’associent, toutes les mesures doivent être prises pour sauvegarder le secret professionnel et éviter les conflits d’intérêts.»
12 Par exemple Bohnet/Martenet, Droit de la profession d’avocat, Berne 2009, p. 588, N 1436; p. 589 N 1441.
13 Bacharach (p. 215) est d’avis que le TF part «du principe excessivement calviniste que les avocats violeront leur secret professionnel au sein de leur nouvelle étude».
14 TF 1A.223/2002 du 18.3.2003, c. 5.2.
15 C. 2.5.
16 ATF I 45 II 229. Sur cette jurisprudence, cf. Fellmann/Burger, Unabhängigkeit und Berufsgeheimnis bei Subdelegation durch Hilfsperson – BGER 2C_1083/2017 vom 4. Juni 2019, Revue de l’avocat 8/2019, pp. 341 ss.; Nussbaumer, L’utilisation d’un espace de coworking par un avocat, 13.7.2019, www.lawinside.ch/777/.
17 Dans l’arrêt 2C_1084/2017, l’avocat recourant avait choisi, parmi les services offerts par la société B. SA, outre la domiciliation (soumise aux CG-domiciliation), également la mise à disposition temporaire et ponctuelle d’un bureau et d’une place de travail selon disponibilité (CG-occupation).
18 Le TF relève (c. 6.2) que faire dépendre l’inscription de l’avocat de l’indépendance structurelle est une limitation de sa liberté économique (art. 27 al. 2 Cst.), si bien que les exigences à cet égard ne doivent pas s’étendre au-delà de ce qui est nécessaire.
19 C. 6.3. Cf. ATF 144 II 147 c. 5.2.
20 C. 6.5.
21 C. 6.6.
22 C. 7.3.
23 C. 7.4.
24 C. 7.5.
25 C. 8.2.
26 C. 8.3.
27 C. 9.
28 En citant l’arrêt TF 2C_280/2017 du 4.12.2017.
29 TF 2C_988/2017 du 19.9.2018.
30 C. 4. Sur cette question, cf. Reiser/Valticos, Les négociations sous les réserves d’usage, SJ 2019 II 217 ss., spéc. p. 235-236.
31 Pour autant qu’il soit au courant de l’existence de cette confidentialité.
32 ATF 140 III 6 c. 3.2.
33 ATF 144 II 473 c. 5.
34 Alors que l’art. 12 let. a LLCA impose de manière générale à l’avocat de s’abstenir de tout comportement illicite dans l’exercice de sa profession et d’agir dans le respect de l’ordre juridique (ATF 144 II 473 c. 5.2). Sur la jurisprudence en matière de preuves illicites, cf. Reiser/Valticos, pp. 229-230.
35 Du 25.2.2019.
36 Cf. les exigences mentionnées à l’ATF 136 II 551 c. 3.
37 Rem.: le retrait du brevet d’avocat ne constitue pas une mesure disciplinaire de l’art. 17 LLCA.
38 Du 7.8.2018, arrêt résumé dans la SJ 2019 I 176.
39 Condamnation confirmée par le TF (arrêt TF 6B_378/2016 du 15.12.2016). Le recourant avait aussi été condamné pour violation des art. 117 al. 1 LEtr (RS 142.20), 323 CP et 12 al. 3 RPAv/GE.
40 C. 5.3.1. Cf. aussi ATF 137 II 425 c. 6.1.
41 Et l’engagement d’un ressortissant de l’UE sans autorisation et de trois stagiaires – faits qui lui avaient aussi été reprochés –, avait été effectué pour son étude.
42 C. 6.2.
43 C. 6.3.
44 Du 9.7.2018.
45 Les divers agissements du recourant pour lesquels il avait été condamné sont résumés au c. 4.2.
46 C. 4.3. Le TF précise aussi (c. 5) que la radiation du registre cantonal prononcée par l’Autorité de surveillance est une mesure administrative ne constituant pas une deuxième sanction s’ajoutant à la condamnation pénale, mais est une conséquence directe de celle-ci.
47 Du 28.9.2018. Cf. c. 2.2.
48 Sur ces questions, cf. récemment Chappuis, L’évolution jurisprudentielle récente sur le secret de l’avocat, Bulletin CEDIDAC 2019/83; Vecchio, Extension du champ d’application de la LBA au détriment du secret professionnel de l’avocat – limites possibles imposées par le Tribunal fédéral?, Revue de l’avocat 1/2019, p. 43 ss.
49 Du 16.1.2019.
50 C. 3.2.
51 Du 2.7.2018.
52 C. 3.2; cf. aussi ATF 143 IV 462 c. 2.
53 Du 17.12.2018.
54 Par un obiter dictum au c. 3.6.5, tout en laissant ces questions ouvertes (cf. c. 3.6.6).
55 Du 22.11.2018.
56 Du 30.1.2019.
57 Qui s’est d’ailleurs concrétisé ici, où le recourant avait notamment facturé par mégarde à la PPE des opérations qui ne la concernaient pas (cf. c. 5.4).
58 Du 28.1.2019.
59 C. 2.3.
60 C. 3. Cf. aussi ATF 141 IV 344 c. 4.2.
61 Du 20.3.2019.
62 Le TC avait retenu qu’on peut raisonnablement attendre d’un avocat qu’il prenne les mesures pour respecter les jours fériés du canton où la procédure est pendante.
63 C. 3.3.
64 Ibid. Cf. aussi ATF 143 I 284.