Droit administratif
Limitation du droit à manifester publiquement sa croyance
Dans deux arrêts de la Cour de droit administratif du Tribunal cantonal de Genève, il a été relevé que le fait de soumettre l’admission d’une demande d’autorisation de manifester à l’exigence de signer une déclaration comportant une promesse de respecter les valeurs et les règles prônées par l’ordre juridique suisse est admissible au regard de la jurisprudence de la CourEDH et du Tribunal fédéral.
État de fait
L’arrêt relevé ci-dessous concerne une Église qui a déposé une demande d’autorisation pour un baptême immergé dans le lac Léman. Environ septante personnes y auraient assisté. Le Département de la sécurité, de la population et de la santé a refusé la demande et s’est opposé à tout regroupement. L’Église recourt contre la décision du département.
Extrait des considérants
[…]
9) Une restriction à la liberté de conscience et de croyance est possible tant au regard de l’art. 9 § 2 CEDH que de l’art. 36 Cst., à condition de remplir les trois exigences usuelles en la matière (base légale suffisante, intérêt public ou protection d’un droit fondamental d’autrui, proportionnalité) et le respect du noyau intangible du droit en cause (art. 36 al. 4 Cst.). Il en va de même d’une limitation de la liberté d’association (art. 11 § 2 CEDH).
a. Selon l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2). Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).
En vertu de l’art. 9 § 2 CEDH, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
b. En l’espèce, le département prive l’Église d’effectuer un baptême devant accueillir septante-cinq personnes sur le domaine public pendant une heure. Il restreint ce faisant le droit de la recourante de manifester sa religion collectivement et en public, droit expressément prévu à l’art. 9 § 1 CEDH et admis en Suisse par la jurisprudence fédérale et la doctrine susmentionnées relatives à l’art. 15 Cst.
Il convient donc d’examiner si cette restriction du droit à la liberté de conscience et de croyance de la recourante est justifiée en l’espèce, étant précisé que les limitations concernant les manifestations religieuses extérieures ne portent pas atteinte au noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance, qui ne protège que la « liberté intérieure » (ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 5.5.1 ; ATF 148 I 160 consid. 7.11).
[…]
13) Le présent litige porte sur le droit de la recourante d’accomplir un acte rituel investi d’une signification religieuse, sur le domaine public du canton de Genève connaissant une séparation nette entre l’État et l’Église depuis 1907 et fortement imprégné du principe de la laïcité, ancré à l’art. 3 Cst-GE. L’argumentation prolixe du département mérite quelques clarifications préliminaires afin de cerner la question litigieuse et son cadre légal.
a. […]
Ainsi, la laïcité genevoise d’ouverture et de tolérance correspond, comme l’explique Maya HERTIG RANDALL, à une vision mettant la laïcité au service de la fonction individuelle de la liberté religieuse et permet, comme le souligne Michel HOTTELIER, aux communautés religieuses et à leurs adhérents de se faire connaître, de s’exprimer et d’entrer en contact avec les autorités « sans les reléguer à la marge de la société ». Cet auteur considère que la spécificité genevoise de la laïcité a correctement été identifiée par le Tribunal fédéral dans son ATF 123 I 296 résumant celle-ci comme «une obligation de neutralité qui impose [à l’État] de s’abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens, dans une société pluraliste [de sorte qu’elle poursuit un double objectif de] préserver la liberté de religion des citoyens [et de] maintenir, dans un esprit de tolérance, la paix confessionnelle» (consid. 4a/bb).
Par conséquent, le département ne peut être suivi lorsqu’il soutient que la vision genevoise de la laïcité fait primer l’intérêt général à la paix religieuse sur le droit individuel de chaque personne à la liberté religieuse. Cet intérêt général peut cependant être pris en compte dans l’examen de la conformité au droit du refus litigieux, à l’aune de trois conditions de restriction des droits fondamentaux (art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH), en particulier s’agissant de la condition de la proportionnalité. Les autorités genevoises sont ainsi tenues de respecter la liberté de conscience et de croyance de tout citoyen, sous réserve de restrictions admissibles à celle-ci.
b. Contrairement à ce que semble avancer le département dans sa réponse, la recourante, dont il n’est pas contesté qu’elle est titulaire de la liberté de conscience et de croyance, a un droit – constitutionnel (art. 15 Cst.) et conventionnel (art. 9 CEDH) – à manifester publiquement sa croyance, notamment « par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites », ceci étant expressément prévu à l’art. 9 § 1 CEDH. C’est d’ailleurs en raison du droit à manifester sa religion collectivement en public que le Tribunal fédéral a déclaré la teneur de l’art. 6 al. 2 LLE adoptée par le législateur genevois – autorisant les manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public uniquement à titre exceptionnel – incompatible avec l’art. 15 Cst., considérant qu’une telle norme revenait en réalité à une interdiction de principe desdites manifestations (ATF 148 I 160 consid. 11.4 à 11.6).
Ainsi, la distinction entre manifestation religieuse cultuelle et non cultuelle contenue à l’art. 6 LLE interroge, en particulier à l’aune de la garantie de l’art. 9 § 1 CEDH visant expressément la liberté de manifester sa religion, en public, collectivement, par le culte et l’accomplissement des rites notamment. Cela étant, elle n’est pas déterminante pour l’issue du présent litige. En effet, comme exposé plus bas, le motif du refus querellé réside dans le non-respect de la condition de l’art. 3 let. c RLE exclusivement, indépendamment des considérations alléguées par le département concernant un prétendu effet « plus perturbateur » résultant de la pratique d’un culte par opposition à la communication d’une opinion religieuse.
Pour ce motif lié à l’objet litigieux, il n’y a pas non plus lieu d’examiner la conformité au droit de la procédure visant à autoriser les communautés religieuses à entretenir des relations avec l’État au sens des art. 4 ss LLE (art. 5 et 6 RLE), ni son articulation avec celle concernant l’autorisation des manifestations religieuses, ici cultuelles, sur le domaine public (art. 6 LLE).
[…]
d. Par conséquent, la question à examiner in casu est de déterminer si la restriction au droit de la recourante de manifester sa religion collectivement et en public, que lui a imposée le département en refusant d’autoriser le baptême en cause, est admissible au regard des trois conditions usuelles de restriction des droits fondamentaux prévues aux art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH. Plus précisément, cet examen implique, sous l’angle du respect du principe de la proportionnalité et plus particulièrement de l’exigence de nécessité, de savoir si la restriction au droit – constitutionnel et conventionnel – d’accomplir publiquement le baptême en cause, est nécessaire à un des intérêts publics susceptibles d’être invoqués au sens des art. 36 al. 2 Cst. et 9 § 2 CEDH.
En argumentant que le domaine public n’est pas nécessaire à l’accomplissement du baptême en cause, le département fait une mauvaise application du droit. En effet, il n’examine pas la nécessité de la restriction au droit revendiqué (à savoir si le refus litigieux d’utiliser le domaine public est nécessaire à un intérêt public donné), mais s’intéresse à la nécessité d’exercer ce droit (à savoir si l’exercice du droit de manifester sa religion sur le domaine public repose sur un besoin légitime de la recourante). En d’autres termes, au lieu d’examiner la nécessité de son intervention (soit le refus litigieux), le département s’interroge sur la nécessité de la demande de l’administrée. Son raisonnement ne cible donc pas correctement la question juridique pertinente, ce d’autant plus que, ce faisant, il s’immisce, à tort, dans l’appréciation de la recourante quant à la manière d’exprimer sa croyance, en estimant qu’il s’agit d’un choix « de confort » de cette dernière, lié à l’esthétique de la plage. Conformément à la jurisprudence précitée de la CourEDH (affaire Metodiev) et du Tribunal fédéral (ATF 142 I 49), il n’appartient pas à l’État d’apprécier la légitimité des croyances religieuses ni les modalités d’expression de celles-ci. Autre est la question de l’éventuel impact social du baptême sur la société, le Tribunal fédéral rappelant à cet égard qu’il peut se prononcer librement sur les aspects ou effets sociaux de la pratique d’une religion, comme évoqué plus haut.
Par conséquent, la question de savoir si le domaine public est nécessaire à l’acte religieux, objet de la demande sollicitée, n’est pas pertinente, de sorte que l’argument y relatif du département doit être écarté. Dès lors et sous réserve de l’examen – conforme au droit – des conditions de restriction posées aux art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH, il ne revient pas au département de décider du lieu du baptême en cause, étant rappelé que la recourante a un droit – conditionnel – à manifester publiquement sa religion en vertu des art. 15 Cst. et 9 § 1 CEDH.
14) Après ces remarques préliminaires clarifiant l’objet du présent litige, il y a lieu de vérifier, dans un deuxième temps et au regard des motifs invoqués par le département, si la restriction litigieuse au droit de la recourante de manifester publiquement sa religion par l’accomplissement d’un rite respecte les trois conditions de restriction des droits fondamentaux posées, de manière similaire, par les art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH.
[…]
15) Sous l’angle de l’exigence de la base légale, la limitation litigieuse imposée à la recourante se fonde sur l’art. 3 RLE, selon lequel « l’organisation religieuse souhaitant entretenir des relations avec l’État au sens des articles 5, 6, 8 et 9 de la loi doit remplir les conditions générales suivantes [posées aux let. a (être formellement organisée en association ou fondation), let. b (participer à la cohésion sociale) et let. c (avoir signé et respecter la déclaration d’engagement visée à l’art. 4 RLE)] ».
[…]
c. Bien que cela n’apparaisse pas de manière très claire, l’interprétation du texte et de la systématique des art. 4 al. 1 et 2 et art. 6 LLE permet d’admettre, du point de vue de l’exigence de la base légale, la position du département, selon laquelle l’absence d’une des conditions de l’art. 3 RLE lui permet de ne pas examiner la demande d’autoriser une manifestation religieuse au sens de l’art. 6 LLE.
[…]
d. En l’espèce, parmi les trois conditions posées par l’art. 3 RLE, seule est litigieuse celle fixée à l’art. 3 let. c RLE, à savoir avoir signé et respecter la « déclaration d’engagement » dont le contenu est détaillé à l’art. 4 RLE. Cette condition s’inscrit dans le cadre légal de l’art. 4 al. 2 LLE qui vise expressément le respect des droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse en général, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.
Il ne s’agit pas d’une obligation nouvelle vu que, même en l’absence d’une telle déclaration d’engagement, tout un chacun est tenu de respecter le droit. Sur ce point, la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH soulignant l’importance de l’autonomie des organisations religieuses ne prive pas l’État d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités de celles-ci avec les règles fixées par la législation. Elle le contraint cependant à fonder les éventuelles restrictions à la liberté de ces entités sur la base de raisons convaincantes, impératives, pertinentes et suffisantes ainsi que d’une appréciation acceptable des faits pertinents, rappelant que l’État n’a en principe pas à apprécier la légitimité des croyances religieuses ou leurs modalités d’expression. La condition posée à l’art. 3 let. c RLE et précisée par l’art. 4 RLE, qui motive la décision querellée, respecte donc le principe de la légalité et la condition de l’exigence de la base légale, susceptible de fonder une restriction à un droit fondamental au sens des art. 9 § 2 CEDH et 36 al. 1 Cst.
[...]
17) Reste à examiner la troisième condition de restriction aux droits fondamentaux, à savoir si le refus litigieux respecte le principe de la proportionnalité dans les circonstances du cas d’espèce.
[…]
c. Face à cet intérêt public prépondérant, la recourante se plaint d’une restriction à sa liberté de conscience et de croyance, concrétisée ici par le refus d’accomplir un rite religieux sur le domaine public. Cette restriction est certes importante, mais elle découle in casu du refus de la recourante de signer et de s’engager à respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE.
Or, celle-ci constitue essentiellement un rappel des valeurs et règles découlant des droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique suisse, la recourante n’alléguant au demeurant pas que tel ne serait pas le cas. La seule contrainte pour elle découlant de l’art. 3 let. c RLE est de manifester sa volonté de se soumettre aux valeurs explicitées à l’art. 4 RLE et résultant de l’ordre juridique suisse, plus particulièrement des droits fondamentaux et, ce faisant, de leur reconnaître une primauté par rapport aux règles découlant de sa croyance. L’exigence des art. 3 let. c et 4 RLE n’interfère en revanche aucunement sur ses croyances ou pratiques religieuses, respectant ainsi la jurisprudence précitée selon laquelle les autorités n’ont pas à apprécier la légitimité des croyances ou les modalités d’expression de celles-ci. À cela s’ajoute la jurisprudence de la CourEDH admettant un droit de regard de l’État sur la conformité du but et des activités des communautés religieuses avec les règles fixées par la législation, tout en soumettant une éventuelle restriction de la liberté d’association à des motifs pertinents et suffisants, sur la base d’une appréciation acceptable des faits pertinents et à la lumière des effets sur l’exercice des libertés fondamentales en cause (ACEDH Metodiev, précité, § 35 ss).
Dans ces circonstances, on peine à voir l’atteinte qu’engendrerait la condition posée par les art. 3 let. c et 4 RLE à la liberté religieuse de la recourante, dans une société démocratique fondée sur le respect du droit et la neutralité religieuse.
d. Au contraire, comme relevé plus haut, le respect de cette condition favorise le plein exercice de cette liberté ainsi que la diversité religieuse. Le respect de cette diversité constitue l’un des défis les plus importants, selon la CourEDH qui invite les États à la percevoir comme une richesse et non une menace (ACEDH Izzettin Dogan, précité, § 109).
L’exigence de signer et de respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE, posée à l’art. 3 let. c RLE, est ainsi apte et nécessaire non seulement à l’objectif de primauté de l’ordre juridique poursuivi par le législateur genevois, mais également au respect de la liberté religieuse de tout un chacun. Dans la mesure où elle contribue à la garantie de cette liberté et qu’elle n’affecte pas le contenu des croyances de la recourante, on ne voit pas quelle atteinte à sa liberté religieuse cette dernière subirait en acceptant de signer et de respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE, tout au plus serait-elle minime. Dans ces circonstances, l’intérêt public à la protection de l’ordre juridique prime celui de la recourante de ne pas se soumettre à une telle exigence, ce d’autant plus que celle-ci revendique l’exercice de la liberté religieuse qu’elle refuse d’inscrire dans un rapport de subordination aux valeurs fondamentales de l’ordre juridique.
Certes, l’atteinte découlant du refus de la recourante de signer et respecter la déclaration de l’art. 4 RLE est grave, dans la mesure où elle se voit priver de son droit de manifester publiquement sa religion par l’accomplissement d’un rite. Néanmoins, l’intensité de cette atteinte résulte, par effet de miroir, de l’importance de la règle précitée que la recourante a volontairement refusé de respecter, en ne signant pas la déclaration d’engagement visée par l’art. 4 RLE. Cette atteinte se trouve ainsi dans un rapport raisonnable par rapport à l’intérêt public escompté, l’entrave subie par la recourante n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de cet intérêt dont l’importance cardinale a déjà été soulignée. En outre, il ne tient qu’à la recourante d’accepter de signer et de respecter la déclaration de l’art. 4 RLE pour réduire l’atteinte qu’elle subit, de ce fait, dans l’exercice de sa liberté religieuse.
Par conséquent, le refus d’examiner le fond de la demande visant le déroulement du baptême en cause sur le domaine public, opposé par le département à la recourante en l’absence de signature et d’engagement à respecter la déclaration de l’art. 4 RLE, est conforme au principe de proportionnalité au sens des art. 36 al. 3 Cst et 9 § 2 CEDH. L’atteinte litigieuse portée à la liberté religieuse de la recourante est donc admissible in casu. Le recours est dès lors rejeté.
[…]
Arrêt ATA /277/2022 du 20.12.2022 de la Chambre administrative du Tribunal cantonal genevois
Procédure civile
Pas de retrait du droit à l’assistance d’un avocat d’office
Le président du Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne conclut au retrait du droit à l’assistance d’un avocat d’office. Dans le présent cas, le président se réfère aux nombreux changements d’avocat de la bénéficiaire de l’assistance judiciaire et rappelle que l’assistance judiciaire ne permettait au justiciable de changer d’avocat à la moindre contrariété. Saisie du recours de la bénéficiaire de l’assistance judiciaire, la Chambre des recours civile admet le recours en se référant à sa jurisprudence en la matière et rappelle que le fait que plusieurs conseils aient été relevés de leur mission au motif que le lien de confiance était rompu ne justifie pas le retrait partiel de l’assistance judiciaire.
État de fait
Au bénéfice de l’assistance judiciaire dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale, l’intéressée a dû changer à plusieurs reprises d’avocat. Les avocats la représentant ont été relevés de leur mission de conseil d’office pour rupture du lien de confiance à de nombreuses occasions. La bénéficiaire se voit refuser sa demande de changement d’avocat et retirer le droit à l’assistance d’un avocat d’office. Elle recourt contre cette décision.
Extrait des considérants
[…]
3.
3.1 La recourante estime que c’est à tort que le président lui a retiré le droit à l’assistance d’un avocat d’office et a refusé de lui désigner Me Q. en cette qualité, en remplacement de Me F..
3.2
3.2.1 L’art. 117 CPC prévoit qu’une personne a droit à l’assistance judiciaire si elle ne dispose pas de ressources suffisantes (let. a) et si sa cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès (let. b).
Selon l’art. 118 al. 1 CPC, l’assistance comprend l’exonération d’avances et de sûretés (let. a), l’exonération des frais judiciaires (let. b) et la commission d’office d’un conseil juridique par le tribunal lorsque la défense des droits du requérant l’exige, en particulier lorsque la partie adverse est assistée d’un avocat (let c 1ère phrase). L’assistance judiciaire peut être accordée totalement ou partiellement (art. 118 al. 2 CPC).
3.2.2 Aux termes de l’art. 119 al. 2 2ème phrase CPC, le requérant à l’assistance judiciaire peut indiquer dans sa requête le nom du conseil juridique qu’il souhaite. Il n’a ainsi pas droit à la désignation d’un conseil particulier, le tribunal devant cependant motiver le choix d’un conseil autre que celui souhaité (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2e éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 119 CPC et les références citées). Pour sa part, le conseil désigné est tenu d’accepter les défenses d’office et les mandats d’assistance judiciaire dans le canton au registre duquel il est inscrit (art. 12 let. g LLCA [loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 ; RS 935.61]). Il ne peut refuser un mandat qu’à titre exceptionnel, par exemple dans le but de préserver son indépendance (art. 12 let. b LLCA) ou en cas de conflit d’intérêts (art. 12 let. c LLCA).
Le conseil désigné d’office n’a pas davantage le droit de remettre purement et simplement son mandat. Exceptionnellement, il peut solliciter d’être relevé de sa mission, ou le mandant peut solliciter un changement de mandataire, lorsque, pour des raisons objectives, l’assistance judiciaire ne peut plus être assurée de façon efficace, ou lorsque le lien de confiance est manifestement rompu. Dans ce dernier cas, il est d’usage d’admettre sans trop de rigueur le changement requis (TF 1B_410/2012 du 3 octobre 2012 consid. 1.2 et les références citées ; CREC 20 mai 2014/178 consid. 3c)
Selon l’art. 120 CPC, le tribunal retire l’assistance judiciaire lorsque les conditions d’octroi ne sont plus remplies ou qu’il s’avère qu’elles ne l’ont jamais été. Si le tribunal envisage le retrait, il devra dans ce cas interpeller le bénéficiaire en lui donnant l’occasion de se déterminer (TF 4P.300/2005 du 15 décembre 2005 consid. 2.2 et 3.3 ; Tappy, op. cit., n. 8 ad art. 120 CPC). Le fait que les conseils d’office successifs du bénéficiaire de l’assistance judiciaire aient tous demandé à être relevés de leur mission au motif que le lien de confiance avec leur client était rompu ne justifie pas un retrait de l’assistance judiciaire (CREC 29 octobre 2013/323).
Selon la jurisprudence, le simple fait que la partie assistée n’a pas confiance dans son conseil d’office ne lui donne pas le droit d’en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu’il n’apparaît pas de manière patente que l’attitude de l’avocat d’office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4).
3.3 Dans le prononcé entrepris, le premier juge a d’abord relevé que la procédure divisant les parties, en cours depuis sept ans, était « des plus conflictuelles » et marquée par l’attitude oppositionnelle de la recourante, qui avait toujours eu des difficultés à admettre le droit de visite mis en place en faveur de son époux sur sa fille. Il a ensuite cité une liste d’exemples desquels il ressortait que lorsque les décisions rendues n’allaient pas dans le sens souhaité par la recourante, celle-ci ne s’y conformait pas et ne donnait pas non plus suite aux engagements qu’elle prenait dans le cadre de conventions. En particulier, le président a considéré qu’il ne pouvait être fait aucun reproche aux différents conseils de la recourante, ceux-ci ayant fait leur travail et l’ayant justement conseillée, ce qui impliquait parfois de ne pas aller dans son sens. Or, l’assistance judiciaire ne conférait pas un droit de la recourante de changer de conseil à la moindre contrariété et n’était pas soumise à ses moindres desiderata. Partant, Me F. devait être relevée de son mandat, celle-ci ayant invoqué une rupture du lien de confiance avec sa mandante, mais il convenait de refuser de désigner Me Q. comme remplaçant, le droit à l’assistance d’un avocat d’office, en tant que composante de l’assistance judiciaire, devant être retiré à la recourante.
3.4
3.4.1 A l’appui de son recours, la recourante critique tout d’abord le travail de Me F.. Elle expose ensuite pour quels motifs le droit de visite de son époux sur sa fille est conflictuel. Elle estime que les reproches formulés à son égard dans la décision attaquée sont choquants et aucunement pertinents. En somme, la recourante soutient que rien n’est de sa faute et que ce sont toujours les autres qui n’effectuent pas leur travail correctement.
3.4.2 En l’espèce, bien que les reproches adressés par le président à la recourante ne paraissent a priori pas dénués de tout fondement, son analyse ne porte pas sur les motifs permettant le retrait de l’assistance judiciaire selon l’art. 120 CPC. En particulier, il n’est fait aucunement mention du fait que la recourante ne remplirait plus les conditions d’octroi de l’assistance judiciaire posées par l’art. 117 CPC, respectivement qu’elle ne pourrait plus prétendre à la commission d’un avocat d’office au sens de l’art. 118 al. 1 let. c CPC. Partant, il se justifie d’annuler le chiffre V du dispositif du prononcé entrepris et de renvoyer la cause au président pour que celui-ci procède à la désignation d’un nouveau conseil d’office à la recourante. On relèvera que celle-ci n’a toutefois aucun droit de choisir son conseil en la personne de Me Q., de sorte qu’il n’y a pas lieu d’annuler également le chiffre IV du dispositif du prononcé attaqué. Il sied d’ailleurs de rappeler à l’attention de la recourante que l’assistance judiciaire ne lui donne pas le droit de demander le remplacement de son conseil lorsque la perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs.
4. En définitive, le recours doit être partiellement admis, le prononcé entrepris réformé au chiffre V de son dispositif et la cause renvoyée au premier juge pour qu’il procède dans le sens des considérants.
Arrêt HC / 2022 / 883 du 18.10.2022 de la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal vaudois
Droit des assurances sociales
Un revenu fictif pris en compte comme gain intermédiaire
C’est à juste titre que la caisse de chômage a pris en compte un revenu fictif dans le cadre du calcul du gain intermédiaire. Dans le cas d’espèce, la juriste ne saurait se prévaloir de l’intégration d’un revenu équivalent à celui d’un avocat stagiaire. En effet, cette dernière a terminé le stage professionnel exigé pour se présenter à l’examen du brevet d’avocat. De ce fait, le revenu perçu n’est pas conforme aux usages locaux et professionnels et doit être réévalué à la hausse conformément au revenu moyen fondé sur les statistiques.
État de fait
À l’issue de son stage d’avocat, une juriste travaille auprès d’une étude d’avocats pour un salaire équivalent à celui d’une avocate stagiaire. Elle requiert des indemnités de chômage auprès de la caisse de chômage, qui lui adresse une fin de nonentrée en matière au motif que le gain intermédiaire est supérieur au gain assuré. Il n’y aurait ainsi pas de perte de gain. La juriste recourt au Tribunal cantonal afin que son revenu effectif soit pris en compte.
Extrait des considérants
[…]
2. En application de l’article 24 al. 1 LACI, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariale ou indépendante durant une période de contrôle. L’assuré qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain. Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant cependant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (al. 3). Il n’existe cependant pas de droit à une compensation de la perte de gain en faveur d’un assuré qui poursuit une formation. Dans un tel cas, le but de formation et l’acquisition de connaissances professionnelles prédominent par rapport à l’obtention du revenu d’une activité lucrative. La rémunération de ce genre de stage ne peut être prise en compte à titre de gain intermédiaire. Par contre lorsque l’activité concernée ressemble à un stage mais ne fait pas partie de la formation de base (emploi déguisé en stage) et que le salaire est inférieur à celui perçu par une personne active dans la profession en question, l’article 24 LACI s’applique et il y a lieu de prendre en considération un gain intermédiaire fictif au sens de l’article 24 al. 3 LACI (Rubin, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ad. art. 24, ch. 21, p. 267 et les références citées).
La réglementation sur la compensation de la différence entre le gain assuré et un gain intermédiaire est une norme de calcul des indemnités de chômage au sens des articles 8 ss LACI (ATF 121 V 336 cons. 2b et 2c). Un assuré ne perd pas son droit à l’indemnité du seul fait qu’un salaire, annoncé comme gain intermédiaire à la caisse de chômage, est inférieur aux usages professionnels et locaux. Dans cette hypothèse, il a droit à la compensation de la différence entre le gain assuré et le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (ATF 120 V 233 cons. 4 b). Un salaire fictif, conforme à ces usages, remplace ainsi le salaire réellement perçu par l’assuré pour le calcul de sa perte de gain. Les indemnités compensatoires sont calculées sur la base du salaire conforme aux usages professionnels et locaux même si l’assuré ne réalise aucun gain ou seulement un gain minime (arrêt du TF du 03.04.2009 [8C 774/2008] cons. 2 et les références).
3. a) En l’espèce, tout en reconnaissant qu’elle vise un emploi de juriste (l’obtention du brevet d’avocate n’étant pas une fin en soi) et que l’emploi qu’elle occupe auprès de Me B. ne poursuit plus un but de formation dans la mesure où elle a achevé les deux années de stage indispensables pour se présenter à l’examen du barreau, l’intéressée maintient que, compte tenu de la spécificité de son activité chez Me B., son inscription au rôle officiel du canton en qualité d’avocate-stagiaire est nécessaire. De ce fait, elle restait soumise à la rémunération des stagiaires prévue par l’arrêté du Conseil d’Etat relatif à la rémunération des étudiants ayant l’obligation légale ou réglementaire d’effectuer un stage dans le cadre de leur formation de niveau tertiaire, du 23 octobre 2013 (ci-après : l’arrêté) et, partant, le gain qu’elle réalisait depuis le 1er février 2022 devait être considéré comme conforme aux usages professionnels et locaux. Pour les motifs qui suivent, cette argumentation ne peut pas être suivie.
b) Il est notoire que la recourante est titulaire d’un bachelor of Law, ainsi que d’un master of Law, diplômes qui permettent à son détenteur d’offrir ses services en qualité de juriste au sein d’entreprises, fiduciaires, banques, assurances ou de travailler comme juriste dans les administrations publiques, organisations internationales ou non gouvernementales, etc. (www.unine.ch/droit/home/formations). Au terme de son parcours universitaire, l’assurée a toutefois entrepris auprès de l’Etude A. un stage d’avocate de deux ans, à l’issue duquel tout stagiaire qui en remplit les conditions est admis à l’examen menant à l’obtention du brevet d’avocat-e (art. 21 de la loi sur la profession d’avocat et d’avocate [LAv]). Contrairement à ce qu’elle soutient, ce stage n’excède pas deux ans (art. 16 al. 1, 1ère phrase LAv). Si sa durée peut certes être prolongée, ce n’est qu’avec l’autorisation de l’autorité de surveillance et dans la seule hypothèse où il ne peut être accompli qu’à temps partiel (art. 16 al. 1, 2ème phrase LAv), ce qui n’était pas le cas de l’intéressée. Dès lors, pour autant que celle-ci en remplisse les autres conditions (art. 21 al. 1 let. a et b LAv), elle peut, si elle le souhaite, se présenter à l’examen menant à l’obtention du brevet d’avocate, le stage qu’elle a suivi du 13 janvier 2020 au 12 janvier 2022 auprès de l’Etude A. se révélant dans ce cadre suffisant. Il s’ensuit que l’emploi à durée déterminée qu’elle a exercé à 50 % auprès de l’Etude B. du 1er février 2022 au 8 juillet 2022 ne s’inscrivait pas dans sa formation menant au brevet d’avocate même si, à cette occasion, la recourante a pu acquérir une expérience pratique supplémentaire. Cette activité ne faisant pas partie intégrante de sa formation, le salaire qui lui était versé par Me B. doit être qualifié de gain intermédiaire.
c) Dans ces circonstances, c’est à juste titre que, à l’occasion du calcul des indemnités de chômage, l’intimée a examiné si la rémunération perçue par l’intéressée à titre de gain intermédiaire à partir du 1er février 2022 (CHF 885 par mois) était conforme aux usages professionnels et locaux au sens de l’article 24 al. 3 LACI; question qui ne se confond pas avec celle du caractère convenable d’un emploi au sens de l’article 16 LACI (arrêt du TF du 21.12.2000 [C 266/00] cons. 4b/aa). Compte tenu que l’emploi exercé pour Me B. n’entrait pas dans la formation entreprise par la recourante menant au brevet d’avocate, la rémunération offerte par cet employeur – qui correspondait, proportionnellement au taux d’engagement, à celle prévue pour les stages obligatoires effectués par les stagiaires de l’administration cantonale titulaire d’un master préparant, notamment, un brevet d’avocat (CHF 1›770; art. 1 al. 1 et 2 al. 1 let. e de l’arrêté) – n’était manifestement pas conforme aux usages professionnels et locaux eu égard aux diplômes de l’assurée, qui lui permettaient d’entrer directement dans la vie active en qualité de juriste.
C’est dès lors de manière justifiée que l’intimée s’est fondée sur les calculateurs statistiques des salaires de l’Office fédéral de la statistique (OFS) et du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) pour déterminer le salaire usuel moyen, non d’un stagiaire, mais d’un juriste de l’âge de la recourante, avec une formation universitaire sanctionnée par des diplômes, exerçant dans le canton de Neuchâtel. Or, le salaire mensuel brut fictif retenu sur cette base par Unia pour un poste à plein temps, soit 5›870 francs selon le calculateur statistique de salaires 2018 de l’OFS – que l’intéressée ne conteste au demeurant pas – représentait, au taux d’activité de 50 %, un gain journalier de 135.25 francs (CHF 2’935/21.7), qui se révélait supérieur à son indemnité journalière de 122.40 francs, excluant dès lors toute perte de gain. C’est ainsi à juste titre que son droit à l’indemnité de chômage a été nié durant son activité en gain intermédiaire auprès de Me B. à partir du 1er février 2022.
4. Au vu de ce qui précède, la décision entreprise n›apparaît pas critiquable, de sorte que le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté.
[…]
Arrêt CDP.2022.169 du 30.11.2022 de la Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois