Droit des contrats
Des réparations importantes à indiquer
Dans le cadre d’un contrat de vente automobile incluant une exclusion de la garantie pour les défauts, l’acheteur pourra à nouveau se prévaloir de ses droits de garantie si le vendeur a frauduleusement dissimulé les défauts. Tel est le cas lorsque le vendeur omet d’informer l’acheteur de réparations importantes après de graves pannes du véhicule. Compte tenu de la gravité du défaut, l’acheteur est dès lors en droit d’exiger le remboursement du véhicule et de ses dépenses, notamment le montant de la location de la place de parking et les frais de réparation.
État de fait
Deux particuliers concluent un contrat portant sur la vente d’un véhicule d’occasion expertisé pour un prix de 8500 francs. Une clause d’exclusion de la garantie était prévue au contrat de vente. Quelques semaines après l’achat, l’acheteur dut procéder à plusieurs réparations. Après ces problèmes mécaniques, un contrôle du véhicule fut effectué par un garagiste.
Ce dernier conclut que plusieurs pièces importantes avaient été changées, notamment le moteur. En outre, les pièces de rechange ne correspondaient pas au véhicule. Après différents échanges infructueux, l’acheteur a introduit une action rédhibitoire à l’issue de laquelle le vendeur a été condamné au remboursement du véhicule et des impenses résultant des défauts. Le vendeur a fait appel contre cette décision et a été débouté.
Extrait des considérants
3. b)Le Tribunal civil a ici retenu que les modifications effectuées sur le véhicule avant la vente n’avaient pas été faites dans les règles de l’art mécanique. De plus, il existait un cache moteur, ce qui rendait les modifications difficilement décelables par tout un chacun. Dès lors, les défauts du véhicule reposaient sur l’absence de qualités attendues et entachaient grandement la valeur du véhicule, ainsi que son utilité. L’intimé n’aurait pas conclu la vente s’il avait eu connaissance des défauts.
e)Lors de son interrogatoire, l’appelant a déclaré que, quelques jours après la première intervention de A.________, il «[avait] senti que quelque chose n’allait pas avec ce véhicule». Il avait donc repris contact avec A.________ pour entreprendre de nouvelles réparations, car il existait aussi un problème avec le cardan.
[…]
4.
Il faut donc examiner si l’appelant a adopté un comportement dolosif qui permettrait d’écarter la clause exclusive de garantie. Les parties étaient en effet convenues de supprimer la garantie pour les défauts dans le cadre du contrat de vente conclu le 16 mars 2020.
a) Selon l’article 199 CO, une clause qui supprime ou restreint la garantie est nulle si le vendeur a frauduleusement dissimulé à l’acheteur les défauts de la chose. D’après l’article 201 CO, l’acheteur est tenu de signaler les défauts aussitôt qu’il les découvre (al. 1), sinon la chose est tenue pour acceptée, même avec ces défauts (al. 3). Cependant, l’article 203 CO prévoit que le vendeur qui a induit l’acheteur en erreur intentionnellement ne peut se prévaloir du fait que l’avis des défauts n’aurait pas eu lieu en temps utile.
L’action en garantie pour les défauts de la chose vendue se prescrit par deux ans dès la livraison faite à l’acheteur, même si ce dernier n’a découvert les défauts que plus tard (art. 210 al. 1 CO), mais ce délai ne s’applique notamment pas lorsque le vendeur a induit l’acheteur en erreur intentionnellement (art. 210 al. 6 CO): dans ce cas‑là, les prétentions en garantie sont soumises à la prescription décennale de l’article 127 CO (cf. notamment arrêt du TF du 07.09.2010 [4A_301/2010] cons. 3.2).
Malgré la variété des termes utilisés dans les normes ci-dessus («dissimuler frauduleusement», «induire en erreur intentionnellement»), c’est la même notion de dol qui est en jeu (arrêt du TF du 07.09.2010 précité, cons. 3.2). Le dol est une tromperie intentionnelle qui détermine la dupe, dans l’erreur, à conclure un contrat qu’elle n’aurait pas conclu, ou du moins pas conclu aux mêmes conditions, si elle avait eu une connaissance exacte de la situation (le dol éventuel suffit, cf. plus loin).
Le vendeur agit par dol non seulement lorsqu’il fournit des indications fausses sur la qualité de la chose, mais également lorsqu’il passe sous silence certains faits que la loi, le contrat ou les règles de la bonne foi lui commandent de révéler. En particulier, il y a dol lorsque le vendeur omet consciemment de communiquer un défaut à l’acheteur – qui l’ignorait et ne pouvait le découvrir en raison de son caractère caché – tout en sachant qu’il s’agissait d’un élément important pour l’acquéreur. La tromperie doit être en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la conclusion du contrat : sans cette tromperie, la dupe n’aurait pas conclu le contrat, ou l’aurait fait à des conditions plus favorables (arrêt du TF du 29.12.2020 [4A_437/2020] cons. 4.1).
Ceci présuppose que le vendeur ait une connaissance effective du défaut; l’ignorance due à une négligence même grave ne suffit pas. La connaissance ne doit pas nécessairement être complète ni porter sur tous les détails ; il suffit que le vendeur soit suffisamment orienté sur la cause à l’origine du défaut pour que le principe de la bonne foi l’oblige à en informer l’acheteur (arrêt du TF du 24.08.2021 [4A_627/2020] cons. 4.2).
Le dol éventuel suffit. Il est commis par celui qui présente des faits comme réels et certains en acceptant consciemment l’éventualité qu’ils n’existent pas. Ainsi, celui qui donne les chiffres d’un bilan sans en connaître le véritable montant commet un dol éventuel. Si, par chance, les faits prétendus sont avérés, le dol éventuel n’aura pas de conséquences juridiques. Ne demeure que le reproche moral à l’adresse de celui qui a couru le risque (Schmidlin/Campi, in : CR CO I, n. 18 ad art. 28).
Récemment, la Cour de céans a retenu qu’avait agi par dol éventuel, ce qui excluait que le vendeur puisse se prévaloir de la suppression contractuelle de toute garantie, de l’éventuelle tardiveté de l’avis des défauts et du délai de prescription de deux ans, celui qui avait garanti que le véhicule vendu n’était pas accidenté alors qu’il l’était (arrêt de la Cour d’appel civile du 20.09.2023 [CACIV.2023.47] cons. 4.e).
b) Dans son mémoire d’appel, l’appelant soutient qu’on ne peut pas retenir qu’il avait entrepris des travaux de réparation à petit prix, argument qui avait permis au Tribunal civil de justifier la non application de la clause d’exclusion de la garantie. En effet, le prix versé à A.________ correspondait au prix du marché. Il n’avait aucune connaissance dans le domaine automobile et était de parfaite bonne foi. Le fait que le véhicule ait été expertisé en bonne et due forme par le SCAN achevait de convaincre de sa bonne foi et de l’absence de tout dol.
Lui-même n’avait eu aucun problème avec le véhicule, après l’expertise du SCAN, de sorte qu’il ne pouvait avoir le moindre doute sur les qualités du véhicule vendu et il devait pouvoir accorder une entière confiance au résultat d’une expertise officielle. Par ailleurs, la décision attaquée contrevient à la jurisprudence antérieure du Tribunal cantonal, en ce sens que la Cour de cassation civile avait tranché en faveur d’un vendeur, qui n’avait pas de connaissance particulière dans le domaine automobile et dont le véhicule avait été expertisé par le SCAN (cf. CCC.1997.7329).
Le fait que le vendeur soit un amateur en la matière a en outre une grande importance quant à ce que l’on est en droit d’attendre de sa part concernant les qualités et les défauts du véhicule (cf. CCC.2020.135), ce que la jurisprudence française retient également comme facteur déterminant.
c) […] Comme l’a retenu la première juge, l’appelant a fait preuve d’une grave négligence dans sa manière de procéder. Lors de la vente du véhicule à l’intimé, l’appelant n’a ni mentionné exhaustivement les modifications entreprises, ni transmis la facture du 1er octobre 2019 dont il s’était acquitté en faveur de A.________. Il a consciemment tu ces éléments: «Lorsque Y.________ est venu voir mon véhicule je lui ai dit que j’avais changé quelques pièces mais rien d’autre.
Pour moi, les réparations étaient en ordre, je n’avais rien à dire d’autre». Or il est hautement probable que si des indications plus précises en lien avec les réparations effectuées avaient été données, elles auraient éveillé chez l’acheteur quelques questions concernant la fonctionnalité du véhicule, ce d’autant plus que les pièces utilisées n’étaient pas conformes (moteur prévu pour un autre type de véhicule). Donner des informations complètes était ici d’autant plus décisif que le défaut dont était affecté le moteur ne se voyait pas sans enlever le cache et disposer de compétences spécifiques.
Lorsque l’’intimé a tenté de contacter l’appelant parce qu’il avait rencontré des problèmes avec le véhicule, il n’a pas donné suite à ses interpellations. Ce comportement, de même que les circonstances précitées, démontrent que l’appelant avait connaissance des défauts cachés dont le véhicule était affecté (sachant qu’il a au surplus fourni lui-même les pièces non compatibles, spécialement le cardan), et ce même s’il a déclaré ne pas avoir de connaissances particulières en matière de mécanique automobile.
Comme vu ci-dessus, le fait que le véhicule ait passé avec succès l’inspection au SCAN n’est d’aucune aide à l’appelant. En effet, les inspections du SCAN sont réalisées en un temps limité (vingt minutes en l’occurrence), ce qui ne permet pas de faire une analyse approfondie du véhicule et du moteur, même si la durée de l’examen n’est pas forcément la seule chose décisive mais bien le fait que le but de l’examen par le SCAN est d’assurer la sécurité et non de débusquer des défauts.
Il faut au demeurant relever que l’appelant aurait dû, en principe, informer le SCAN des modifications effectuées sur le véhicule, lesquelles sont soumises à un contrôle obligatoire (www.scan-ne.ch/vehicule/informationexpertise-voiture, où on lit: «Toutes les modifications effectuées sur votre véhicule sont soumises à un contrôle obligatoire», respectivement: «toutes les modifications, qu’elles touchent à l’apparence ou à la mécanique (…) doivent nous être annoncées sans délai», ce qui semble d’ailleurs aller de soi). Une quelconque mention à ce sujet ne ressort toutefois pas des allégués de l’appelant, ni du rapport d’inspection.
Les défauts présents sur le véhicule n’étaient pas facilement décelables, puisque le mécanicien de l’intimé, B.________, ne les a pas non plus constatés immédiatement lors de ses interventions. Ce n’est qu’au moment où il a démonté le cardan qu’il a constaté que «le support du cardan» avait été «bricolé», «que le support moteur n’était pas d’origine et que l’axe de liaison de la boîte à vitesse était usée (sic) en raison du cardan qui n’était pas dans le bon axe».
L’appelant ne peut donc pas se prévaloir du rapport d’inspection du SCAN pour affirmer sa bonne foi, alors qu’il était en principe tenu d’annoncer sans délai au SCAN les importantes modifications effectuées sur le véhicule et qu’il ne l’avait pas fait, comptant sans doute sur la brièveté du contrôle et le caractère camouflé des indices de modifications du moteur pour obtenir que le véhicule soit agréé à l’expertise de sécurité.
L’appelant fait finalement une fausse lecture de la jurisprudence qu’il cite. […] En l’occurrence, l’appelant savait que le véhicule avait subi des modifications majeures du moteur – sans se soucier de la qualité des travaux effectuées – et s’est abstenu de l’indiquer à l’intimé. S’agissant du second arrêt, la Cour de cassation civile avait retenu que «[l]a qualité de vendeur, amateur voire occasionnel ou professionnel de la vente n’est pas indifférente, dès lors que de celle-ci peuvent dépendre les exigences que l’on est en droit d’avoir quant à la connaissance précise des qualités et défauts que peut présenter un véhicule d’occasion» (arrêt de la Cour de cassation civile du 24.01.2011 [CCC.2010.135] cons. 4).
Elle a également indiqué que le vendeur, professionnel dans la branche, ne pouvait pas aveuglément se fier aux indications fournies ou tues par son propre vendeur, alors que les défauts (état des freins et ligne d’échappement) auraient pu être constatés en respectant son incombance de vérification (art 201 CO). Le vendeur aurait donc dû en informer l’acheteur et la dissimulation frauduleuse de ces défauts a été retenue. En l’espèce, on peut appliquer ce raisonnement par analogie à l’appelant, puisque même s’il dit ne pas être un professionnel en la matière, il a confié son véhicule à un tiers – sans s’assurer de ses compétences – afin de réparer le moteur.
Malgré des modifications importantes à ce qui est quand même le cœur d’un véhicule, le vendeur a sciemment omis d’informer l’acheteur de défauts initiaux importants et des réparations entreprises, et ce afin de pouvoir conclure la vente sans que l’acheteur puisse les voir et en être dissuadé. C’est assez typiquement une situation de défaut caché dolosivement. Il en découle que le vendeur ne peut pas se prévaloir de l’exclusion de la garantie des défauts et doit répondre des défauts.
5.
a) Selon l’article 208 al. 1 CO, en cas de résiliation de la vente, l’acheteur est tenu de rendre au vendeur la chose avec les profits qu’il en a retirés. Le vendeur doit restituer à l’acheteur le prix payé, avec intérêts, ainsi que les frais de procès et les impenses (art. 208 al. 2, 1er phrase). Sauf convention contraire, les intérêts sur le prix payé se calculent selon l’article 73 CO ; ils sont dus dès le jour du versement du prix au vendeur.
Les impenses incluent les frais d’entretien de la chose et les frais d’assurance (Venturi/Zen-Ruffinen, op. cit., n. 8 ad art. 208). En outre, le vendeur doit indemniser l’acheteur pour le dommage «résultant directement de la livraison des marchandises défectueuses» (art. 208 al. 2 CO, 2e phrase). Dans ce cadre, il convient de déterminer si le dommage est direct, d’après l’intensité du lien de causalité entre le défaut et le dommage en question (ATF 133 III 257 cons. 2.5).
b) L’appelant conteste la prise en compte par le Tribunal civil, en tant qu’impenses, des frais engendrés par la commande de l’arbre à transmission, de l’étrier de frein, des filtres à huiles, à air et à carburant pour un montant de 350.25 francs, ainsi que des frais engendrés par l’achat d’une batterie et d’un démarreur. Selon lui, ces frais ne sont pas en lien avec le défaut reproché, soit le fait que le bloc moteur ne soit pas d’origine. Il faut toutefois constater que les frais précités sont bien des impenses, puisqu’ils ont été engagés pour l’entretien du véhicule (art. 208 al. 2, 1ere phrase).
Il n’est pas indispensable qu’il existe un lien de causalité entre les impenses engendrées par le véhicule litigieux et les défauts constatés. Au demeurant, c’est la détention du véhicule qui a causé ces frais, peu importe qu’ils soient directement induits par le défaut caché. Du moment que la vente a été conclue malgré le défaut et sous l’effet d’un dol, c’est la seule détention du véhicule qui est suffisante pour admettre que les coûts que cela engendre ne seraient pas intervenus sans le comportement du vendeur. Dans cette optique, ce dernier doit en indemniser l’acheteur.
S’agissant du dommage relatif à la place de parc occupée par le véhicule litigieux, les griefs de l’appelant tombent à faux. Même si la place de parc était louée par l’acheteur avant le présent litige, elle a été occupée plusieurs mois par le véhicule immobilisé et apparaît ainsi comme une charge inutile causée par la vente dolosive. L’acheteur ne pouvait pas utiliser la place de parc pour un autre véhicule, ni la sous-louer ou en résilier le contrat de bail. Contrairement à ce qu’allègue l’appelant, l’intimé n’a pas violé son obligation de réduire le dommage, puisqu’il a pu limiter les coûts en stationnant le véhicule sur sa place de parc privée à 50 francs par mois, alors que s’il avait laissé le véhicule en mains du garagiste, le prix aurait été de 100 francs par mois (où 300 francs sont comptés pour 3 mois).
Enfin, il n’était pas envisageable pour l’appelant de remettre le véhicule litigieux à l’intimé pour qu’il le garde en attendant l’aboutissement de la présente procédure : une expertise avait été requise en première instance, ce qui rendait inenvisageable le transfert du véhicule entre parties, l’intimé et demandeur pouvant légitimement vouloir s’assurer que l’objet litigieux reste dans son état pour pouvoir en prouver les défauts.
Arrêt CACIV.2023.78 de la Cour d’appel civil du Tribunal cantonal de Neuchâtel du 16.1.2024
Droit du bail
La bailleresse peut résilier pour ses besoins propres
Une locataire s’est opposée en vain à la résiliation de son bail à loyer par sa bailleresse qui souhaitait utiliser son appartement pour ses besoins propres. Dans cette affaire, la propriétaire souhaitait louer cet appartement à sa petite-fille. La locataire a contesté cette résiliation devant le Tribunal des baux et loyers, arguant à l’annulation du congé en raison de la violation des règles de la bonne foi.
État de fait
Propriétaire de plusieurs appartements à Genève, la bailleresse souhaitait résilier les baux à loyer de trois appartements à Genève afin d’y faire loger des membres de sa famille, dont sa petite-fille. Finalement, deux appartements sont concernés par ces résiliations, l’un des proches ayant renoncé à occuper le logement. Les logements visés sont occupés par des locataires de longue date, dont les loyers sont les plus bas de l’immeuble.
L’une des locataires, dans une situation précaire, ne dispose que de possibilités de relogement limitées, voire inexistantes, et s’oppose à la résiliation de son bail. Celle-ci s’est alors opposée à la résiliation, évoquant que l’autre logement restait inoccupé, ce qui démontrait la mauvaise foi de la bailleresse. Les juges n’ont pas suivi ce raisonnement, la bailleresse précisant que le congé n’est pas contraire à la bonne foi même si le besoin évoqué n’est pas urgent.
Extrait des considérants
4.1
Lorsque le bail est de durée indéterminée, ce qu’il est lorsqu’il contient une clause de reconduction tacite, chaque partie est en principe libre de résilier le contrat pour la prochaine échéance convenue en respectant le délai de congé prévu (cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1). Le bail est en effet un contrat qui n’oblige les parties que jusqu’à l’expiration de la période convenue; au terme du contrat, la liberté contractuelle renaît et chacune a la faculté de conclure ou non un nouveau contrat et de choisir son cocontractant (arrêts du Tribunal fédéral 4A_484/2012 du 28 février 2013 consid. 2.3.1; 4A_167/2012 du 2 août 2012 consid. 2.2; 4A_735/2011 du 16 janvier 2012 consid. 2.2).
La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l’existence d’un motif de résiliation particulier (art. 266a al. 1 CO), et ce même si elle entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).
En principe, le bailleur est libre de résilier le bail, notamment dans le but d’adapter la manière d’exploiter son bien selon ce qu’il juge le plus conforme à ses intérêts (ATF 136 III 190 consid. 3), pour effectuer des travaux de transformation ou de rénovation (ATF 142 III 91 consid. 3.2.2 et 3.2.3; 140 III 496 consid. 4.1), pour des motifs économiques (arrêts du Tribunal fédéral 4A_293/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5.2.1 et 5.2.3; 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.1 et 4.3; ATF 120 II 105 consid. 3b/bb), ou encore pour utiliser les locaux lui-même ou en faveur de ses proches parents ou alliés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.3 et 4.5; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.3 et 4).
4.1.1
La seule limite à la liberté contractuelle des parties découle des règles de la bonne foi : lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, le congé est annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO; ATF 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1). La protection conférée par les art. 271 et 271a CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l’interdiction de l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC).
Les cas typiques d’abus de droit (art. 2 al. 2 CC), à savoir l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique contrairement à son but, la disproportion grossière des intérêts en présence, l’exercice d’un droit sans ménagement et l’attitude contradictoire, permettent de dire si le congé contrevient aux règles de la bonne foi au sens de l’art. 271 al. 1 CO (ATF 120 II 105 consid. 3; sur les cas typiques d’abus de droit :
ATF 135 III 162 consid. 3.3.1). Il n’est toutefois pas nécessaire que l’attitude de la partie donnant congé à l’autre constitue un abus de droit “manifeste” au sens de l’art. 2 al. 2 CC (ATF 136 III 190 consid. 2 et les arrêts cités). Ainsi, le congé doit être considéré comme abusif lorsqu’il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection (ATF 135 III 112 consid. 4.1). Tel est le cas lorsque le congé apparaît purement chicanier, lorsqu’il est fondé sur un motif qui ne constitue manifestement qu’un prétexte ou lorsque sa motivation est lacunaire ou fausse (ATF 140 III 496 consid. 4.1; 136 III 190 consid. 2; 135 III 112 consid. 4.1).
Les règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) qui régissent le rapport de confiance inhérent à la relation contractuelle permettent aussi d’obtenir l’annulation du congé si le motif sur lequel il repose s’avère incompatible avec elles (ATF 120 II 105 consid. 3a).
Le but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives. Un congé n’est pas contraire aux règles de la bonne foi du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1) ou que l’intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu’il prenne fin (arrêts du Tribunal fédéral 4A_297/2010 du 6 octobre 2010 consid. 2.2; 4A_322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6).
Pour statuer sur la validité d’un congé, il ne faut examiner que l’intérêt qu’a le bailleur à récupérer son bien, et non pas procéder à une pesée entre l’intérêt du bailleur et celui du locataire à rester dans les locaux; cette pesée des intérêts n’intervient que dans l’examen de la prolongation du bail (arrêts du Tribunal fédéral 4A_18/2016 du 26 août 2016 déjà cité consid. 3.2; 4A_484/2012 du 28 février 2013 précité consid. 2.3.1), sous réserve d’une éventuelle disproportion grossière des intérêts en présence, ce qui est par exemple le cas lorsque des intérêts purement financiers sont en disproportion manifeste avec un problème humain particulièrement pénible (ACJC/701/2014 du 16 juin 2014).
4.1.2
Pour pouvoir examiner si le congé ordinaire contrevient ou non aux règles de la bonne foi (art. 271 et 271a CO), il faut déterminer quel est le motif de congé invoqué par le bailleur. Pour ce faire, il faut se placer au moment où le congé a été notifié (ATF 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).
Il s’agira ensuite de vérifier si ce motif est réel, ou s’il n’est qu’un prétexte, ce qui relève des constatations de fait (ATF 136 III 190 consid. 2; 131 III 535 consid. 4.3; 130 III 699 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_19/2016 du 2 mai 2017 consid. 2.3).
4.1.3
Un congé donné par un bailleur qui entend disposer des locaux pour lui-même ou les mettre à disposition de membres de sa famille ou de proches ne contrevient pas aux règles de la bonne foi, même si le besoin invoqué n’est ni immédiat, ni urgent. On ne saurait en effet imposer au propriétaire d’attendre le moment où le besoin se concrétise, compte tenu du temps habituellement nécessaire pour récupérer effectivement un appartement après une résiliation. Même le fait qu’un bailleur soit propriétaire de plusieurs immeubles n’implique pas nécessairement que la résiliation d’un contrat de bail pour ses besoins propres soit contraire aux règles de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 4A_130/2008 du 26 mai 2008 consid. 2; ACJC/790/2017 du 26 juin 2017 consid. 3.1).
4.1.4
C’est au destinataire du congé de démontrer que celui-ci contrevient aux règles de la bonne foi; la partie qui résilie a seulement le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité en fournissant tous les éléments en sa possession nécessaires à la vérification du motif invoqué par elle (ATF 120 II 105 consid. 3c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_472/2007 du 11 mars 2008 consid. 2.1).
4.2
En l’espèce, les premiers juges ont retenu que le motif des congés de l’appartement et de l’emplacement de parking résidait dans le besoin propre de la bailleresse de pouvoir mettre l’appartement à disposition de sa petite-fille, H______. Ce motif, explicité dans la procédure, n’a pas varié et a été confirmé par cette dernière.
A l’instar du Tribunal, la Cour retiendra qu’aucun élément, notamment parmi ceux allégués par l’appelante, ne permet de retenir que le motif donné constituerait un prétexte. Les trois congés simultanés ont été justifiés par le fait qu’une fille et deux petits-enfants avaient besoin d’être logés.
En intégrant l’appartement concerné, H______ a déclaré vouloir prendre son indépendance à partir de son entrée à l’Université et a donné des détails suffisants sur sa situation financière pour payer le loyer. Elle a ajouté vouloir habiter dans l’immeuble, car elle y avait déjà vécu durant environ une dizaine d’années.
Elle a justifié les motifs pour lesquels elle s’intéressait à l’appartement de l’appelante, à savoir à un étage élevé sur le même palier que son cousin avec un loyer raisonnable, et les raisons pour lesquelles elle n’avait pas repris l’appartement du 1er étage, soit la libération prématurée de celui-ci, ni l’appartement de sa mère, dont le loyer était trop élevé, étant précisé que sa mère souhaitait le conserver pour elle-même.
L’intimée et ses filles ont confirmé qu’il s’agissait du seul immeuble dont elles étaient les uniques propriétaires, ce qui explique également le choix de cet immeuble en particulier.
Les différentes allégations de l’appelante, dont certaines portent sur des faits périphériques non pertinents dans le cas d’espèce ou n’ont pas été démontrées, ne permettent pas de retenir que H______ n’envisagerait pas réellement d’habiter l’appartement litigieux et ce, quand bien même son besoin n’est ni immédiat, ni urgent.
Cela est corroboré par le fait qu’ayant eu la volonté d’habiter l’immeuble, G______ a renoncé au congé lorsqu’elle a décidé de rester vivre avec ses parents.
S’agissant de l’appartement visé par J______, la procédure a établi qu’il était libre le jour de l’audience du 1er février 2022 et qu’il a été sous-loué depuis par celui-ci, dès lors qu’il devait terminer sa formation, dégager des revenus suffisants avant de pouvoir l’intégrer et qu’il vivait actuellement chez son amie. La Cour relèvera que, dans le cadre de l’analyse de la validité du congé, il faut se placer au moment de sa notification.
Conformément à la jurisprudence précitée, le fait que les différents membres de la famille C______/G______/H______/J______/N______ soient propriétaires de plusieurs immeubles, n’implique pas de devoir considérer le congé comme contraire aux règles de la bonne foi.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, seule une disproportion grossière des intérêts en présence, qui n’est pas réalisée en l’espèce, permettrait de retenir un congé contraire à la bonne foi. Une pesée des intérêts ne doit pas intervenir au stade de l’analyse de la validité de la résiliation, mais lors de celle de l’éventuelle prolongation du contrat. Les conséquences pénibles du congé pour l’appelante au regard de sa santé et de sa situation financière ne permettent donc pas de conclure à un congé contraire aux règles de la bonne foi.
Arrêt ACJC/701/2023 de la Chambre des baux et loyers du Tribunal cantonal de Genève du 5.6.2023