Dans ce dernier numéro de la revue plaidoyer francophone – dont nous ne pouvons que regretter la disparition –, qui nous a ouvert ses pages en droit de la profession d’avocat d’abord pour tenir une chronique présentant des petits cas pratiques, puis pour une revue régulière de la jurisprudence, tout en nous ayant permis de nous exprimer sur l’importance de l’enseignement dans les universités du droit et de l’éthique de la profession d’avocat ou sur les qualités essentielles de l’avocat, nous aimerions profiter de ces dernières lignes pour rappeler une obligation déontologique de l’avocat qui semble parfois oubliée: celle de s’efforcer de régler à l’amiable les litiges, évidemment dans l’intérêt bien compris de ses clients, comme le souligne l’art. 11 al. 1 du code suisse de déontologie (CSD).
En effet, si on peut se réjouir de l’essor pris en Suisse ces dernières années de la médiation et du droit collaboratif, il ne faut pas perdre de vue que chaque avocat consulté dans un litige doit, autant que possible, explorer les solutions transactionnelles. L’article 10 des «Us et coutumes» édicté par l’Ordre des avocats de Genève affirme par exemple que l’avocat «n’engagera de procès que si un arrangement n’est pas possible», l’alinéa 2 précisant que «dans la mesure où l’intérêt de son client ne s’y oppose pas, l’avocat envisage à tout moment des modes alternatifs de résolution des conflits».
Malheureusement, il semble que certains considèrent que la recherche d’une voie amiable est l’affaire des médiateurs et non des avocats. Bien entendu, cela n’enlève rien aux devoirs de l’avocat quant à la prise en compte d’une médiation en cours ou de la nécessité d’un renvoi en médiation (art. 11 al. 2 CSD).
Le devoir de l’avocat de s’efforcer de trouver une issue amiable au litige lorsque cela est possible ressort d’ailleurs du devoir d’exécuter fidèlement le mandat (art. 398 al. 2 CO), ainsi que celui d’exercer la profession avec soin et diligence selon l’art. 12 let. a LLCA. L’avocat est tenu d’informer le client, avant d’entamer une démarche judiciaire, des chances de succès d’une procédure, des risques encourus, de son coût et des options possibles, soit y compris des possibilités permettant de trouver une issue au litige par la voie de la négociation.
Ce devoir est reconnu depuis fort longtemps. François Bohnet et Vincent Martenet citent à cet égard ce considérant d’un arrêt de 1943: «S’agissant d’une question juridique particulièrement délicate, il était notamment de son devoir de prendre préalablement contact avec le conseil de sa partie adverse afin d’éviter si possible une procédure dont l’issue lui paraissait pour le moins imprévisible et qui était au surplus susceptible de provoquer des conflits entre son client et l’autorité administrative».
Il incombe à l’avocat d’explorer les solutions qui permettraient de résoudre le litige hors procès, ce qui contribue aussi à éviter une escalade du conflit. Perdant de vue cette obligation, certains avocats ont tendance à se lancer d’emblée, et parfois à mauvais escient, dans l’arène judiciaire. Il arrive que cette tendance soit accentuée du fait que des assurances de protection juridique n’acceptent de couvrir la cause qu’à partir du moment où le litige est selon elles ouvert, ce qui tend à pousser à la judiciarisation, la réalisation de la condition de l’existence du litige étant facile à démontrer lorsque le juge est saisi. La recherche d’une solution transactionnelle par l’avocat devrait en outre se poursuivre si en cours de procédure une voie amiable se dessine.
De la même façon qu’il existe pour les juges un potentiel inexploité de la conciliation pour reprendre l’expression de Jonathan Bory, qui plaide pour faire évoluer les mentalités vers une «culture de l’amiable», les avocats ne devraient pas sous-estimer les fruits que peuvent porter en faveur de leur mandant des négociations judicieusement menées. En s’investissant de manière adéquate dans des discussions transactionnelles, l’avocat reste pleinement dans son rôle de conseil et remplit sa mission de défendre au mieux les intérêts de son client qui, bien souvent, même s’il gagne son procès après des années de procédure, s’est épuisé, tant émotionnellement que financièrement.
Le client l’en remerciera, sans compter que, de manière générale, le justiciable comprendra que l’avocat ne saurait être assimilé à un va-t-en-guerre, et la confiance du public dans la profession tout entière s’en trouvera renforcée. ❙
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