La Géorgie amendée après une manifestation LGBT
Au mois de mai 2013, deux organisations non gouvernementales ont informé les autorités géorgiennes qu’une manifestation serait organisée à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Compte tenu des actes de violence commis par des groupements radicaux lors des précédents événements, les deux associations ont requis la mise en place d’un plan de protection efficace. En outre, les agressions étaient d’autant plus prévisibles, pour les autorités, que différents médias avaient relayé des informations sur l’organisation d’une contre-manifestation par
des ultra-conservateurs et des ecclésiastiques exigeant l’interdiction de la «popula- risation et la promotion des minorités sexuelles». Environ trente manifestants LGBT se trouvaient à proximité de près de 40 000 contre-manifestants, dont certains équipés d’armes improvisées (bâtons de bois, pierres, etc.). Les deux groupes étaient séparés par un fin cordon de sécurité, de toute évidence insuffisant. Des films de journalistes indépendants montrent même des policiers enlevant des barrières de sécurité afin de laisser passer des contre-manifestants sur le site où se déroulait l’événement LGBT.
Après les agressions verbales et physiques dont les militants LGBT ont été victimes, une enquête a été diligentée par le Ministère de l’Intérieur. Mandat a été donné à l’unité de police en charge de l’encadrement de la manifestation d’enquêter sur les faits. Les requérants ont saisi la Cour de Tbilissi qui a certes confirmé les manquements de l’enquête, mais conclu à l’acquittement de la majeure partie des contre-manifestants. Seuls quatre participants aux événements violents ont été condamnés à une légère amende.
S’agissant de la violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) cum 14 CEDH (interdiction de la discrimination), la CourEDH précise d’abord qu’un certain seuil doit être atteint pour conclure à une violation de l’article 3 CEDH. Dans ce cas, les militants LGBT ont été la cible d’attaques violentes, tant verbales que physiques, propres à générer un sentiment d’anxiété et de peur intense. Il en résulte que l’absence de blessure d’une certaine gravité n’est pas décisive, le seuil étant atteint par le sentiment d’insécurité induit par les manquements des autorités géorgiennes.
Les juges de la Cour développent ensuite les principes applicables concernant les obligations positives d’un État visant la protection des citoyens contre les atteintes à la vie et les traitements inhumains (art. 2 cum 3 CEDH). Il s’agit d’abord d’une obligation de moyens obligeant les autorités à prendre toutes les mesures raisonnablement exigibles. Tel n’a pas été le cas des moyens mis en œuvre dans le cadre de l’enquête. La CourEDH doute de l’impartialité de l’autorité enquêtrice, puisqu’elle avait la charge de l’encadrement de la manifestation. Il en va de même des mesures mises en place au moment de la manifestation, la police ne pouvant pas se prévaloir de l’imprévisibilité des agissements des contre-manifestants.
La CourEDH conclut, en outre, que les autorités ont manqué à leurs obligations pour garantir le maintien de la manifestation LGBT. Le simple fait de se limiter à prévoir un plan d’évacuation, en lieu et place de mesures de protection effectives, permet de déduire que la Géorgie a contrevenu aux articles 11 (liberté de réunion et d’association) cum 14 CEDH. Les juges relèvent que l’article 10 CEDH (liberté d’expression) n’est pas analysé, vu que l’article 11 CEDH en est une lex specialis.
Arrêt CourEDH 73204/13 et 74959/1 Women’s Initiatives Supporting Group et autres c. Géorgie du 16 décembre 2021.
La Suisse condamnée à deux reprises
Dans les affaires Plazzi c. Suisse et Roth c. Suisse, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) a autorisé le transfert du domicile des enfants des requérants à l’étranger et décidé d’exclure tout effet suspensif des recours des pères.
Dans l’affaire Plazzi, la décision de l’APEA étant ainsi devenue immédiatement exécutoire, l’enfant et la mère ont déménagé dans la Principauté de Monaco, le jour de la notification de la décision. Dans le cas de Roth, la mère a emmené l’enfant en Allemagne quelques jours après la notification de la décision.
Après le départ des mères et des enfants, les juridictions saisies se sont déclarées incompétentes pour statuer sur le fond des recours et la restitution de l’effet suspensif, vu le transfert de compétence aux États concernés (cf. art. 5 de la Convention de La Haye de 1996; CLaH96). Le Tribunal fédéral a ensuite confirmé le bien-fondé des décisions des autorités judiciaires cantonales.
Les requérants saisissent la CourEDH en invoquant la violation de leur droit d’accès à un tribunal indépendant (article 6 CEDH), faute d’avoir pu recourir contre les décisions de l’APEA devant une juridiction nationale.
La CourEDH admet d’abord que des circonstances exceptionnelles puissent permettre au parent concerné de déplacer le lieu de résidence de l’enfant si son intérêt supérieur le justifie. Le parent concerné n’aura ainsi pas à attendre que la décision finale sur le fond lui soit notifiée. Selon la CourEDH, des autorités administratives pourraient supprimer l’effet suspensif du recours. Dans un tel cas, le parent concerné devrait toutefois être certain de pouvoir saisir un tribunal avant que la suppression de l’effet suspensif ne prenne effet et être informé de la procédure à suivre.
Selon la CourEDH, les motifs d’urgence invoqués dans les affaires en question ne sont pas suffisamment étayés. En fait, aucun motif suffisamment grave ne permettrait de justifier la privation du droit d’introduire une demande par les requérants auprès d’un tribunal avant l’entrée en vigueur de la suppression de l’effet suspensif. Les juges relèvent également que cet élément doit être analysé avec une attention particulière compte tenu des impacts non négligeables sur la relation paternelle.
La Suisse avait fait valoir que les requérants auraient pu demander le rétablissement de l’effet suspensif à partir de la date de notification des décisions de l’APEA. Après avoir examiné les faits, la Cour constate que les deux requérants avaient déposé leur recours dans le délai imparti. Par conséquent, les deux pères n’avaient pas renoncé à utiliser les voies de recours. Le dépôt immédiat du recours n’aurait rien changé au transfert de la compétence internationale, vu la date de changement du domicile de l’enfant. De facto, le maintien juridictionnel sur sol suisse et le traitement du recours sur le fond ne pouvaient pas être réalisés. Les juges concluent que l’essence du droit d’accès à un tribunal a été violée.
Arrêts CourEDH 44101/18, Plazzi c. Suisse, et 69444/17, Roth c. Suisse, tous les deux du 8 février 2022.
Les arrêts de cette rubrique ne sont pas encore définitifs (cf. article 44 § 2 CEDH).
L’arrêt 57292/16 Hurbain c. Belgique (plaidoyer 5/21, p. 50) est jugé par la Grande Chambre (état au 9 mars 2022).
Les arrêts de la CourEDH sont disponibles dans leur intégralité ou sous forme résumée à l’adresse: hudoc.echr.cor.int