Publication non punissable d’éléments d’un dossier d’instruction
A une courte majorité, la 2e Chambre de la CrEDH a admis la plainte d’un journaliste suisse, qui avait publié dans «L’illustré» des documents secrets issus d’un dossier d’instruction. Sous le titre «Drame du Grand-Pont à Lausanne – la version du chauffard – l’interrogatoire du conducteur fou», il avait cité des propos tenus aux enquêteurs par l’automobiliste qui, en juillet 2003, avait tué trois piétons et blessé huit autres. L’article était aussi illustré par des photos de lettres que le conducteur emprisonné avait écrites au juge d’instruction. Le journaliste fut condamné pour publication de documents officiels secrets (art. 293 CP), une condamnation confirmée par le Tribunal fédéral le 29 avril 2008 (6P.153/2006).
La CrEDH reconnaît qu’il est légitime de prendre des mesures juridiques contre la pression des médias sur les prévenus et pour la protection de la procédure. Mais elle remarque que les autorités suisses n’établissent pas en quoi, dans les circonstances présentes, la divulgation de ce type d’information confidentielle aurait pu avoir une influence négative tant sur le droit à la présomption d’innocence que sur le jugement du prévenu, qui n’a eu lieu que deux ans plus tard. Pour la minorité (trois juges, dont la Suissesse Helen Keller), il ne s’agit cependant pas de savoir si la publication de documents secrets a effectivement porté atteinte à des intérêts privés, car il suffit d’examiner s’il y avait un danger potentiel que cela arrive.
Les avis des juges ont divergé sur de nombreux autres points. La majorité a ainsi rejeté l’argument selon lequel l’amende aurait aussi été nécessaire pour la protection de la vie privée: il appartenait au prévenu de faire valoir cette protection, mais il a renoncé à utiliser les voies de droit existantes. Pour la minorité, cela ne suffisait cependant pas à délier l’Etat de son devoir de protéger la vie privée des parties. La minorité souligne encore la conception racoleuse de l’article, qui a fortement réduit sa contribution à un débat d’intérêt public. Pour la majorité, la forme choisie ne pose pas de problème, d’autant plus que le texte porte davantage sur le fonctionnement de la justice pénale que sur le cœur de la vie privée. L’amende de 4000 fr., dont le montant n’est pas négligeable, a par conséquent limité la liberté d’expression dans une trop large mesure.
(Arrêt de la 2e Chambre No 56925/08 «A.B. contre Suisse», du 1.7.2014)
Retour d’un enfant après un déménagement dans la zone frontière proche
La Cour a rejeté à l’unanimité le recours d’une Suissesse divorcée, qui avait déménagé en 2006 de Saint Louis (France) à Binningen (à 7 km de là, en Suisse) avec ses deux enfants, alors qu’elle partageait l’autorité parentale avec le père. Le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne avait ordonné le retour des enfants en France, une décision confirmée par le TF (ATF 134 III 88). La CrEDH considère cette décision comme fondée, et nie toute violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). (Arrêt de la 2e Chambre, No 3592/08 «Rouiller contre Suisse» du 22.7.2014)
Procédure rapide du TF acceptée par la CrEDH
Le 11 octobre 2007, saisi d’un conflit de droit des contrats, Le Tribunal fédéral expédia à l’avocat du requérant les observations de la Cour cantonale de Lucerne et de la partie adverse, «pour information». Conformément à la jurisprudence, le TF n’a pas donné de délai pour une éventuelle prise de position. Il rendit son jugement le 24 octobre 2007 (4A_267/2007). Les observations envoyées le 30 octobre par l’avocat sont donc arrivées trop tard.
La CrEDH n’y voit pas de violation du principe de l’égalité des armes (art. 6 CEDH). Elle cautionne la jurisprudence du TF, comme dans l’arrêt «Joos contre Suisse» du 15.11.2012 (plaidoyer 1/2013), estimant que l’avocat du requérant avait eu l’occasion de répliquer: le délai de réponse dont il a bénéficié était suffisamment long eu égard à la brièveté des documents reçus.
(Arrêt de la 2e Chambre No 49396/07 «Schmid contre Suisse» du 22.7.2014)
Expulsion injustifiée d’un père délinquant équatorien
Un père de famille équatorien né en 1969 a déposé sans succès une demande d’asile en Suisse. Il a été condamné à une peine de prison pour recel et pour d’autres délits. En septembre 2012, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a considéré son expulsion comme justifiée. La CrEDH a cependant jugé à l’unanimité que le retour forcé de ce père séparé depuis 2009 violait le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Les contacts personnels avec sa fille née en 1999 s’en trouvent grandement réduits, un point auquel le TAF n’a pas été assez attentif. La mesure est par ailleurs disproportionnée au regard du peu de gravité des infractions commises et de la santé précaire du père. (Arrêt de la 2e Chambre No 3910/13 «M.P.E.V. et autres contre Suisse», du 8.7.2014)
Renvoi autorisé d’un délinquant kosovar
La CrEDH n’a en revanche pas retenu de violation de l’art. 8 CEDH dans le cas d’un Kosovar né en 1982 et venu en Suisse en 1998 avec sa mère et ses frères et sœurs. Il avait été condamné par la justice lucernoise à deux ans et demi de réclusion en raison de graves infractions pénales (par exemple pour brigandage occasionnant un danger). Le TF avait confirmé son renvoi le 18 février 2008 (2C_493/2007). La CrEDH relève à l’unanimité la gravité de la faute du recourant, ses liens peu étroits avec sa mère et ses frères et sœurs, et le fait qu’il a accompli sa scolarité au Kosovo. Le renvoi est par conséquent proportionné.
( Arrêt de la 2e Chambre No 32493/08 «Ukaj contre Suisse» du 24.6.2014)
La Suisse pouvait renvoyer des Tibétaines en Inde
La CrEDH considère comme infondé le recours de deux Tibétaines en exil contre leur renvoi en Inde. Ce renvoi avait été préalablement considéré comme admissible par le Tribunal administratif fédéral (TAF). Celui-ci n’avait pas trouvé d’indice permettant de craindre une violation de l’art. 3 CEDH (interdiction de la torture) ou un refoulement ultérieur de l’Inde vers la Chine. Selon la CrEDH, le TAF a exposé ses arguments de manière circonstanciée. Son analyse est soutenue par des rapports émanant d’organisations non gouvernementales.
(Décision de recevabilité de la
2e Chambre No 7267/13, 23273/13 «D.C+Y.D. contre Suisse», du 1.7.2014)
Publication des arrêts
Les décisions de la CrEDH sont publiées officiellement en anglais et en français dans le «Reports of Judgments/Recueil des arrêts et décisions» (Carl Heymanns Verlag KG, Luxemburger Strasse 449, DE-50939 Köln). On trouve aussi les arrêts et les communiqués de presse à l’adresse internet de la Cour: www.echr.coe.int