Contrôler plus strictement les conducteurs a-t-il amélioré la sécurité routière?
Sommaire
Plaidoyer 2/11
04.04.2011
Dernière mise à jour:
06.10.2013
Nicolas Queloz
La réforme de la LCR du 14 décembre 2001 visait à améliorer la sécurité routière en appliquant des mesures plus strictes liées à l'incapacité de conduire. Depuis le 1er janvier 2005, il est possible de faire des contrôles indépendants de tout indice d'ébriété; la loi distingue les taux d'alcoolémie simple (dès 0,5‰) et qualifié (égal ou sup&eac...
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AbonnementLa réforme de la LCR du 14 décembre 2001 visait à améliorer la sécurité routière en appliquant des mesures plus strictes liées à l'incapacité de conduire. Depuis le 1er janvier 2005, il est possible de faire des contrôles indépendants de tout indice d'ébriété; la loi distingue les taux d'alcoolémie simple (dès 0,5‰) et qualifié (égal ou supérieur à 0,8‰); l'art. 91 LCR2 incrimine aussi les «autres raisons» d'incapacité de conduire3 et un système de présomption légale permet de sanctionner la conduite sous l'effet de stupéfiants ou de médicaments avec la même sévérité que celle liée à l'alcool.
La question est donc de savoir si l'art. 91 LCR révisé, qui a étendu aussi bien l'incrimination que la détection4 et la poursuite de la conduite en état d'incapacité, a permis d'améliorer la sécurité routière?
Nous n'avons pas les moyens d'y répondre de façon complète. Nous disposons seulement de données statistiques partielles, relatives: 1) aux accidents de la circulation routière et à certaines de leurs causes; 2) aux condamnations pénales pour délits de l'art. 91 LCR5; 3) aux retraits de permis et à certains de leurs motifs.
Les accidents de la route ayant pour victimes des blessés graves ou des morts en Suisse sont en diminution constante depuis trente ans6. Alors que, en 1980, il y avait 14782 blessés graves et 1246 tués, ces chiffres ont passé à 4508 et 328 en 2010. Si la part de la vitesse excessive dans ces drames routiers a passé de 30% en 1980 à 24,8% en 2009, celle de la conduite avec abus d'alcool n'a évolué que de 14,3% en 1980 à 13,7% en 2009. Si les routes suisses sont devenues bien plus sûres depuis trente ans, l'impact de la sévérité accrue du contrôle de la conduite en état d'incapacité y est cependant bien faible.
Les chiffres des condamnations pénales pour des délits relatifs à l'art. 91 LCR7 ont passé de 18117 en moyenne pendant les 5 ans qui ont précédé sa révision (2000-2004) à 20665 pour les 5 ans qui ont suivi (2005-2009), soit une augmentation de 14%. Entre ces 2 périodes, le nombre total de condamnations pour des délits routiers a augmenté de 19% et la part des délits de conduite en état d'incapacité dans l'ensemble des infractions routières a ainsi passé de 42 à 40%. Proportionnellement, il y a donc eu une faible diminution des délits de conduite en état d'incapacité.
Les retraits de permis de conduire (sanctions administratives) ont augmenté de 17% entre 2000-2004 (19750 retraits en moyenne annuelle) et 2005-2009 (23050): il s'agit de retraits pour causes d'ébriété (+8%), d'alcoolisme (+1%), de consommation de stupéfiants ou de médicaments (+190%) et de toxicomanie (+61%). La forte augmentation de ces deux derniers motifs est liée directement à la révision de l'art. 91 LCR8.
En conclusion, la sévérité accrue appliquée dès 2005 avec l'art. 91 LCR révisé a permis d'améliorer la sécurité routière, mais seule une étude scientifique approfondie pourrait en éclairer le rôle parmi d'autres variables fortes, comme l'amélioration de l'infrastructure routière, des véhicules et les actions de prévention. L'essentiel est de ne pas relâcher tous ces efforts conjugués.
1Professeur de droit pénal et de criminologie, Université de Fribourg, nicolas.queloz@unifr.ch; cf. Queloz N., Ziegler A., «La conduite en état d'incapacité (art. 91 LCR): une cible d'action prioritaire pour la sécurité routière», in Werro F., Probst T. (Ed), Journées du droit de la circulation routière 2010, Stämpfli, 117-149.
2RS 741.01.
3Comme le fait d'avoir consommé un stupéfiant ou un médicament, d'être surmené ou d'être affairé à un téléphone ou à un ordinateur portables.
4Avec l'OCCR: ordonnance (du 28.03.2007) sur le contrôle de la circulation routière (RS 741.013), complétée par l'OOCCR-OFROU (du 22. 5.2008, RS 741.013.1).
5Mais pas pour les contraventions d'alcoolémie simple ou relatives à la conduite de véhicules sans moteur, qui sont plus nombreuses.
6Source: BPA, Berne (statistiques sous www.bpa.ch/).
7A savoir les délits de conduite avec alcoolémie qualifiée et en état d'incapacité pour d'autres raisons que l'alcool. Source: OFS, Neuchâtel (cf. délinquance routière sous www.bfs.admin.ch/).
8Et de l'art. 2 OCR (RS 741.11).