N° 1: «Une décision choquante»
L’ATF 141 I 70 a remporté la palme de «l’arrêt le plus désolant» à l’unanimité du jury de plaidoyer, composé de Roland Fank-hauser, professeur de droit civil et de procédure civile à l’Université de Bâle, de Christof Riedo, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l’Université de Fribourg, et de Bernhard Rütsche, professeur de droit public et de philosophie du droit à l’Université de Lucerne. Dans cette affaire, une avocate commise d’office avait mandaté une collègue pour la représenter, en raison d’un problème survenu pendant sa grossesse. Mais elle a dû prendre en charge ces frais de représentation. Une décision confirmée par le Tribunal fédéral, qui estime que la recourante aurait dû obtenir l’autorisation du tribunal avant de mandater une collègue.
Pour Christof Riedo, cette décision est «choquante» dans son résultat, car les avocats sont obligés de par la loi d’accepter les mandats d’office. S’ils se font remplacer, ils devront, avec cet arrêt, rétribuer eux-mêmes leur représentant. Roland Fankhauser partage cet avis. Il note qu’il faut être attentif en cas de réduction des droits dans l’assistance judiciaire gratuite, car les tribunaux prennent souvent des décisions sans tenir compte de la situation réelle des avocats.
Quant à Bernhard Rütsche, il est surtout dérangé par la portée de cet arrêt: «Le système de l’assistance judicaire gratuite s’en trouve, dans l’ensemble, un peu plus affaibli.» Il ne voit pas d’intérêt public qui justifie d’exiger une autorisation chaque fois qu’un avocat commis d’office doit se faire représenter: «C’est contraire à l’économie de la procédure et inutile sur le plan de la garantie de qualité.»
N° 2: «Rivé à la lettre de la loi»
La deuxième place revient à l’arrêt 9C_209/2015. Une Suissesse a payé 20% des coûts de son hospitalisation, survenue en urgence pendant un séjour à Paris. Elle a ensuite demandé le remboursement de cette somme à son assurance en Suisse, sur la base de l’ordonnance sur l’assurance-maladie, selon laquelle l’assurance de base paie, à l’étranger, jusqu’au double du tarif helvétique. Elle a échoué devant le TF, qui estime que, selon les règles européennes de coordination, la participation aux coûts dépend du pays où l’assuré est hospitalisé et non pas de celui où il a souscrit une assurance.
Pour Bernhard Rütsche, cette interprétation est «formaliste»: «On ne peut admettre qu’une disposition interne prévue pour porter assistance aux assurés, en l’occurrence pour prendre en charge les frais de traitement à l’étranger, soit contournée par un accord étatique qui a également pour but d’assister les assurés.» Cette interprétation formaliste, et non téléologique, amène à «un résultat choquant, par ailleurs faux d’un point de vue méthodique».
Christof Riedo n’est pas non plus convaincu par ce jugement. Il est relativement fréquent que le TF fasse une interprétation téléologique d’une disposition. «C’est courant quand il s’agit de faire économiser de l’argent à l’Etat.» Mais on est resté rivé à la lettre de la loi dans ce cas, où il s’agissait de prêter assistance aux patients. Et Roland Fankhauser ne voit pas pourquoi «le droit européen de la coordination en matière de libre circulation devrait mener à un nivellement par le bas. Avec cette interprétation de l’ordonnance sur l’assurance-maladie, on nous prend pour des idiots!»
N° 3: «Formalisme outrancier»
A la troisième place, on trouve l’arrêt 2C_647/2104. Un avocat aurait dû expressément présenter ses écritures comme une opposition, tandis qu’un document d’une assurance-bâtiment était qualifié de décision sans indication correspondante et sans information sur les voies de droit.
Bernhard Rütsche dénonce l’asymétrie des critères de diligence, selon qu’ils s’appliquent aux autorités ou aux parties: «Un document des autorités ayant un caractère de décision devrait être décrit de par la loi comme décision.» Le TF a fait preuve de générosité pour l’assurance-bâtiment dans le cas d’espèce, tandis qu’il se montrait très sévère pour la requête de l’avocat, pour ne pas dire formaliste à outrance. Un avis partagé par les deux autres membres du jury. «Les exigences posées sont très différentes, observe Roland Fankhauser. Une autorité qui émet des décisions peut se permettre de faire des erreurs, mais pas un avocat.»