Le 1er janvier 2013 entrait en vigueur le droit de la protection de l’enfant et de l’adulte. À la différence de l’avant-projet de juin 2003, la loi entrée en vigueur ne prévoit pas de tribunal interdisciplinaire en tant qu’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte. En effet, l’organisation de la protection de l’adulte et de l’enfant a été très controversée lors de la procédure de consultation. De nombreux participants ont contesté que seule une autorité judiciaire (tribunal) puisse garantir la professionnalisation et estimaient qu’une autorité administrative était également à même de le faire.
Finalement, la loi prévoit que l’autorité de protection peut être soit un organe administratif soit une autorité judiciaire, une solution qui garantit autant que possible l’autonomie organisationnelle des cantons. Les cantons germanophones (exception faite des cantons d’Argovie et de Schaffhouse) ont opté pour des autorités administratives, les cantons francophones (Jura excepté) ont préféré des instances judiciaires. Berne, Valais, Grisons et Tessin ont délégué cette compétence à un organe administratif, alors que Fribourg a choisi une entité judiciaire.
Au vu de l’absence d’un tribunal interdisciplinaire, des règles procédurales ont été ajoutées dans le projet de loi finalement adopté. En particulier, les règles de procédure prévues pour les autorités de protection de l’adulte et le recours contre leurs décisions (art. 443 ss. CC) s’appliquent également à l’autorité de protection de l’enfant, conformément aux art. 440 al. 3 et 314 al. 1 CC. De plus, des règles spécifiques ont été prévues en matière de protection de l’enfant notamment dans les domaines de la médiation, de l’audition et de la représentation de l’enfant (art. 314 al. 2 et 3 et 314a CC à 314b CC).
Afin de protéger plus efficacement les enfants victimes de maltraitance, de nouvelles dispositions ont par la suite été introduites dans le code civil le 1er janvier 2019 (art. 314c, 314d, 314e CC). Désormais, les professionnels qui sont régulièrement en contact avec les enfants dans le cadre de leur activité sont obligés d’aviser l’autorité de protection de l’enfant s’ils ont des raisons de croire que le bien d’un enfant, et donc son développement, est menacé et qu’ils ne peuvent pas remédier à la situation dans le cadre de leur activité.
Les nouvelles règles et les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte qu’elles instituent ont fait l’objet de vives critiques après leur entrée en vigueur. Le Parlement a ainsi adressé plusieurs postulats au Conseil fédéral, lui demandant d’examiner diverses questions ayant trait au nouveau droit.
Dans son rapport de 2017 intitulé Premières expériences avec le nouveau droit de la protection de l’enfant et de l’adulte, le Conseil fédéral a en particulier constaté qu’il était nécessaire d’approfondir certains points et de prendre des mesures, en particulier concernant les dispositions régissant la protection de l’adulte. Par exemple, la modification de l’ordonnance sur la gestion du patrimoine dans le cadre d’une curatelle ou d’une tutelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Les nouvelles règles adoptées par le Conseil fédéral précisent notamment les modalités de la gestion du patrimoine des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection et facilitent leur mise en œuvre.
Les compétences des différentes parties prenantes ont été clarifiées, des notions indéterminées ont été définies et certaines dispositions ont été complétées. Le Conseil fédéral a par ailleurs élaboré un avant-projet de modification du code civil visant l’amélioration de l’implication des proches dans les procédures et les décisions des autorités de protection et le renforcement du droit à l’autodétermination des personnes concernées.
En parallèle, plusieurs cantons ont effectué une évaluation de la mise en œuvre du nouveau droit et procédé, sur la base des premières expériences, à une adaptation de leur législation d’exécution.
En outre, le Centre d’écoute et d’assistance de l’enfant et de l’adulte (KESCHA), mis sur pied par la Fondation Guido
Fluri en collaboration avec l’Association professionnelle pour l’éducation sociale et la pédagogie spécialisée (Integras), la fondation Protection de l’enfance Suisse, l’association Kinderanwaltschaft Schweiz, PACH enfants placés ou adoptifs Suisse et la COPMA, informe et conseille depuis 2017 les personnes concernées par une mesure de protection de l’enfant ou de l’adulte et publie des rapports faisant état des points à améliorer.
Cela étant, dans le domaine de la protection de l’enfant, c’est également au niveau international que plusieurs critiques ont surgi.
Le but de cet article est de présenter la manière dont les nouvelles dispositions en matière de protection de l’enfant sont perçues au niveau international. Pour ce faire, nous analyserons les observations finales rendues par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue en matière de protection de l’enfance depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit.
1. Les observations finales du Comité des droits de l’enfant
La Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après: la Convention) énonce les droits qui doivent être réalisés pour que les enfants, les adolescents et les adolescentes développent leur plein potentiel et soient protégés contre la violence, les abus et les préjudices. Elle prévoit notamment à son art. 3 al. 1 ce qui suit: «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale». Selon l’Observation générale n° 14 (2013), le Comité souligne que l’intérêt supérieur de l’enfant est un concept triple:
a) C’est un droit de fond: Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale lorsque différents intérêts sont examinés en vue d’aboutir à une décision sur la question en cause, et la garantie que ce droit sera mis en œuvre dans toute prise de décision concernant un enfant, un groupe d’enfants défini ou non ou les enfants en général. Le paragraphe 1 de l’article 3 crée une obligation intrinsèque pour les États, est directement applicable (auto-exécutoire) et peut être invoqué devant un tribunal;
b) Un principe juridique interprétatif fondamental: Si une disposition juridique se prête à plusieurs interprétations, il convient de choisir celle qui sert le plus efficacement l’intérêt supérieur de l’enfant. Les droits consacrés dans la Convention et dans les Protocoles facultatifs s’y rapportant constituent le cadre d’interprétation;
c) Une règle de procédure: Quand une décision qui aura des incidences sur un enfant en particulier, un groupe défini d’enfants ou les enfants en général doit être prise, le processus décisionnel doit comporter une évaluation de ces incidences (positives ou négatives) sur l’enfant concerné ou les enfants concernés. L’évaluation et la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant requièrent des garanties procédurales. En outre, la justification d’une décision doit montrer que le droit en question a été expressément pris en considération.
À cet égard, les États parties doivent expliquer comment ce droit a été respecté dans la décision, à savoir ce qui a été considéré comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sur la base de quels critères et comment l’intérêt supérieur de l’enfant a été mis en balance avec d’autres considérations, qu’il s’agisse de questions de portée générale ou de cas individuels.
En outre, en vertu de l’art. 12 CDE: «Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité (al. 1). À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale (al. 2).»
Le Comité des droits de l’enfant (ci-après: le Comité) est composé de 18 experts indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention par ses États parties. Afin de permettre cette surveillance, les États parties s’engagent à soumettre au Comité, par l’entremise du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, des rapports sur les mesures qu’ils auront adoptées pour donner effet aux droits reconnus dans la Convention et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits (art. 44 Convention).
Le Comité des droits de l’enfant a rendu des observations finales concernant la Suisse à trois reprises: en 2002 s’agissant du rapport initial, en 2015 (2e, 3e, et 4e rapports périodiques) et en 2021 (5e et 6e rapports périodiques).
Le Comité a adressé, dans le cadre de ses observations finales de février 2015, plusieurs recommandations à la Suisse. L’une d’elles portait sur la mise en œuvre de l’art. 12 CDE.
À la lumière de son Observation générale n° 12 (2009) sur le droit de l’enfant d’être entendu, le Comité a recommandé à la Suisse de prendre des mesures pour renforcer ce droit, conformément à l’art. 12 CDE, et notamment:
a) d’intensifier ses efforts pour que le droit de l’enfant d’être entendu s’applique à toutes les procédures judiciaires et administratives qui concernent les enfants et que les opinions de l’enfant soient dûment prises en considération;
b) d’amplifier ses efforts pour que les enfants aient le droit d’exprimer leurs opinions librement sur toute question les intéressant et que ces opinions soient dûment prises en considération à l’école, dans les autres institutions éducatives et dans la famille, ainsi que dans le cadre de la planification des politiques et dans les processus décisionnels, en accordant une attention particulière aux enfants marginalisés et défavorisés;
c) de veiller à ce que les professionnels des secteurs de la justice et des services sociaux et d’autres secteurs qui s’occupent d’enfants reçoivent systématiquement une formation appropriée sur les moyens d’assurer la participation effective des enfants.»
Le Conseil fédéral a dès lors chargé le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) d’examiner, en collaboration avec les cantons, la mise en œuvre en Suisse de l’art. 12 CDE et d’identifier les bonnes pratiques et les points faibles, dans les domaines suivants: santé, éducation, justice (droit de la famille et DPMin) et protection des enfants. Le CSDH a procédé à une collecte de données auprès des autorités cantonales de neuf cantons (VD, FR, BE, AG, SZ, TI, ZH, BS et SG).
L’étude a été publiée en 2020. Le CSDH constate que la portée juridique de l’art. 12 CDE dans le droit suisse est claire: il s’agit d’une norme directement applicable. Dans la pratique, le contenu des droits octroyés par l’art. 12 CDE n’a en revanche pas encore été saisi dans toute sa portée. Cet article ne se réduit pas à l’audition de l’enfant dans les procédures le concernant, mais englobe plusieurs formes de participation de l’enfant, comme le droit à l’information, à la présence, à la libre formation et expression de son opinion et à la prise en compte de celle-ci et le droit à un représentant.
De plus, le droit d’être entendu ne dépend pas de la capacité de discernement de l’enfant. Le CSDH critique en particulier la fixation de seuils d’âge dans la loi et dans la jurisprudence pour accorder à l’enfant le droit d’être entendu. Le développement et les capacités de l’enfant directement concerné par la procédure devraient être le seul critère déterminant pour admettre ce droit.
Ainsi, le CSDH parvient à la conclusion que le changement de paradigme envisagé par la Convention relative aux droits de l’enfant n’a pas encore eu lieu en Suisse: au lieu d’être reconnu comme un sujet de droit à part entière, l’enfant est encore perçu comme un être dont il faut assurer la protection et satisfaire les besoins, sans pour autant lui reconnaître de manière systématique la possibilité de participer activement à la prise de décision sur des questions (familiales, scolaires, médicales, etc.) qui le concernent directement.
Au-delà de ces lacunes d’ordre structurel et organisationnel, le CSDH expose dans son étude aussi les lacunes spécifiques aux domaines examinés. Dans le domaine du droit de la famille, il constate que le droit d’être entendu de l’enfant, bien qu’ancré dans la loi (CC et CPC), est compris de manière trop limitée, puisqu’il est assimilé à l’audition de l’enfant dans la procédure de séparation et de divorce. Et même dans cette acception restreinte, ce droit est mis en œuvre de manière fort différente d’un canton à l’autre, voire d’une autorité à l’autre au sein d’un même canton.
Des considérations analogues sont formulées pour la protection de l’enfant en droit civil. Il manque aussi des indications claires sur le rôle des représentants des enfants devant l’autorité de protection. Enfin, le CSDH considère comme particulièrement grave l’absence de dispositions sur la participation de l’enfant dans la procédure de privation de la liberté à des fins d’assistance, le renvoi aux normes applicables aux adultes étant manifestement inapproprié.
Estimant que l’élaboration de stratégies aux niveaux fédéral et cantonal est nécessaire pour mieux faire comprendre la portée de l’art. 12 CDE, le CSDH a formulé 28 recommandations destinées principalement aux cantons, mais aussi à la Confédération.
Dans ses observations finales de 2021, le Comité précise, tout en accueillant avec satisfaction l’étude du CSDH, que la Suisse est toujours invitée à garantir le droit des enfants d’être entendus dans le cadre de toute décision les concernant, y compris dans les procédures pénales et les procédures d’asile, et de veiller à ce que cette garantie s’étende aux enfants handicapés, aux enfants faisant l’objet d’une protection de remplacement, aux jeunes enfants et aux enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants (point 20).
Il est recommandé en outre de définir des procédures ou des protocoles opérationnels à l’intention des professionnels qui travaillent au contact ou au service des enfants afin que les opinions de ces derniers soient dûment prises en considération dans l’ensemble des procédures.
Toujours dans ses observations finales de 2021, le Comité recommande à la Suisse de veiller à ce que les lois cantonales soient compatibles avec les dispositions de la Convention et de mettre au point une procédure d’évaluation des effets des lois et politiques nationales relatives aux enfants sur leurs droits (point 7).
Le Comité traite également de la question de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est important de préciser que dans son rapport, valant cinquième et sixième rapports périodiques, la Suisse indique ce qui suit au sujet de cette notion: «En Suisse, le ‹Kindeswohl/bien de l’enfant/bene del figlio› a acquis le rang de droit constitutionnel en 2000, lors de l’introduction dans la nouvelle Constitution du droit des enfants et des jeunes à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement (art. 11 Cst.).
Ce terme est utilisé dans plusieurs textes législatifs, notamment en droit de la famille et de la protection de l’enfant. Le Gouvernement regrette les discussions suscitées autour de ce terme, qui pourraient donner l’impression que les expressions ‹bien de l’enfant› et ‹intérêt supérieur de l’enfant› n’ont pas le même sens, ce qui est faux. En Suisse, le terme ‹bien de l’enfant› correspond matériellement à celui d’‹intérêt supérieur› de l’art. 3 CDE. […] Ainsi, il n’y a pas lieu de remplacer le terme ‹bien de l’enfant› par ‹intérêt supérieur de l’enfant› dans l’ordre juridique suisse.»
Toutefois, le Comité ne partage pas cette analyse. Dans son rapport, il précise qu’il reste préoccupé par le fait que la notion de «bien de l’enfant» inscrite dans la Constitution ne correspond pas au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par la Convention, ce qui concourt à une application insuffisante du principe de l’intérêt supérieur des enfants dans les décisions qui concernent ces derniers (point 19).
Rappelant ses recommandations antérieures, il recommande ainsi à la Suisse:
a) de veiller à ce que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit appliqué de manière systématique dans les programmes et les procédures administratives et judiciaires, notamment pour ce qui est de l’autorité parentale, du placement sous protection de remplacement et des procédures en lien avec la migration et l’asile;
b) de définir des procédures et des critères destinés à aider l’ensemble des personnes en position d’autorité à déterminer, dans chaque domaine, ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant et à en faire une considération primordiale, en s’inspirant des éléments fournis dans son observation générale n° 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (par. 52 à 79);
c) de veiller à ce que la signification juridique de l’expression «intérêt supérieur de l’enfant» soit correctement comprise et appliquée par tous les professionnels travaillant au service et au contact des enfants, notamment en diffusant les procédures et critères susmentionnés et en harmonisant la traduction de cette expression dans toutes les langues nationales.
Enfin, en matière de placement d’enfants, appelant son attention sur les Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants et rappelant ses recommandations antérieures, le Comité recommande:
a) d’adopter des normes nationales relatives à la qualité de la protection de remplacement, y compris pour les enfants qui vivent en famille d’accueil ou dans les centres fédéraux d’accueil des demandeurs d’asile, et d’encourager leur application dans tous les cantons;
b) de renforcer les mesures de prévention de manière que la qualité des services de prévention et les conditions d’accès à ces services ne varient pas d’un canton à l’autre, notamment en donnant la priorité aux mesures de protection sociale destinées aux familles afin d’éviter que des enfants, en particulier ceux qui ont moins de 3 ans, ne fassent l’objet d’une protection de remplacement;
c) de renforcer les mesures visant à réduire la durée du séjour des enfants en institution, notamment en allouant des moyens suffisants aux services de protection de l’enfance et aux services de formation, de soutien et d’accompagnement proposés aux parents d’accueil et aux parents adoptifs;
d) de veiller à ce que les enfants qui font l’objet d’une protection de remplacement soient entendus dans le cadre des décisions qui les concernent, et ce tout au long de leur placement, et que les autorités compétentes aient les moyens techniques nécessaires pour garantir le respect de l’opinion de ces enfants;
e) de faire en sorte que les enfants ne soient séparés de leur famille que si leur intérêt supérieur le justifie et sous réserve de contrôle judiciaire, conformément à l’article 9 par. 1 de la Convention, et à ce que la pauvreté et le handicap, y compris le trouble du spectre autistique, ne constituent jamais un motif de placement;
f) de veiller à ce que les conclusions de l’étude sur les enfants de parents incarcérés soient communiquées aux départements concernés et soient utilisées dans le cadre de l’élaboration de programmes visant à offrir un soutien psychologique et social à ces enfants.
Nous pouvons conclure que, depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions en matière de protection de l’enfant, les lacunes les plus importantes sont au niveau de l’audition de l’enfant et de la prise en compte de son intérêt supérieur lors de la prise de décisions par les autorités de protection. En outre, plusieurs problèmes en lien avec le placement des enfants ont été identifiés. Compte tenu du fait qu’il s’agit de points essentiels dans le domaine de la protection de l’enfance, il faut espérer que nos autorités fassent preuve de célérité dans la mise en œuvre des changements préconisés par le Comité des droits de l’enfant.
2. La jurisprudence de la CourEDH
Une lecture des jurisprudences rendues au cours des dix dernières années par la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de la Suisse permet de constater que les juges de Strasbourg ont eu l’occasion de se pencher sur la question de l’application des nouvelles dispositions du code civil relatives à la protection de l’enfance uniquement à deux reprises, dans deux affaires concernant l’application de l’art. 450c CC. Il s’agit des arrêts Roth c. Suisse et Plazzi c. Suisse, rendus le 8 février 2022.
Dans ces arrêts, la CourEDH a constaté à l’unanimité la violation par la Suisse du droit à un procès équitable reconnu par l’article 6 § 1 CEDH en raison de failles dans la procédure prévue dans le code civil suisse. Selon la CourEDH, le retrait de l’effet suspensif par une autorité de protection n’est pas conforme au droit international lorsque cette décision ne peut jamais être examinée par un tribunal (p. ex. si la procédure devient sans objet en raison du départ dans un État partie à la Convention de La Haye du 19 octobre 1996) et que l’autorité de protection décidant du retrait de l’effet suspensif n’est pas un tribunal au sens de l’art. 6 CEDH.
Un bref rappel des faits permettra de mieux comprendre le raisonnement de la Cour.
Dans l’affaire Plazzi (TF 5A_948/2017 du 12.3.2018), l’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après: APEA) du canton du Tessin, qui est une autorité administrative, a attribué, en date du 24 août 2017, la garde exclusive de la fille de M. Plazzi à la mère, autorisé le déplacement de la résidence habituelle de l’enfant à la Principauté de Monaco et retiré l’effet suspensif à un éventuel recours contre cette décision.
L’APEA a rendu sa décision en application de l’article 450c CC (applicable par analogie dans le domaine de la protection de l’enfance) en vertu duquel «le recours est suspensif, à moins que l’autorité de protection de l’adulte ou l’instance judiciaire de recours n’en décide autrement». La mère et l’enfant ont déménagé le jour même de la notification de la décision.
Quant à l’affaire Roth, ce dernier a eu une fille en 2008 avec une femme de nationalité allemande, dont il s’est ensuite séparé. Ayant trouvé un emploi à Bonn, la mère a demandé à l’APEA, en date du 9 décembre 2015, l’autorisation de déplacer la résidence habituelle de l’enfant dans cette ville. Par décision du 27 janvier 2016, l’APEA a autorisé le déplacement du domicile de la fille en Allemagne et retiré l’effet suspensif à un éventuel recours contre sa décision, également en application de l’article 450c CC. La mère et l’enfant ont déménagé en Allemagne le 31 janvier 2016 au plus tard.
Dans les deux affaires, les juridictions suisses (autorités cantonales de recours et Tribunal fédéral) se sont déclarées incompétentes pour traiter du recours des requérants au fond et décider du rétablissement de l’effet suspensif, car les transferts du domicile des enfants à l’étranger ont entraîné le transfert de la compétence internationale à ces États en application de l’article 5 alinéa 2 de la CLaH96.
Les requérants se plaignent devant la CourEDH de ne pas avoir pu s’opposer, devant un tribunal national, à la décision de l’APEA.
Selon la CourEDH, les requérants ont subi une limitation de leur droit d’accès à un tribunal qui a été causée par le retrait par l’APEA de l’effet suspensif à un éventuel recours et qui a été matérialisée par la déclaration d’incompétence des tribunaux nationaux. La CourEDH estime qu’il existe des situations exceptionnelles, dûment justifiées par l’intérêt supérieur de l’enfant, dans lesquelles l’urgence particulière commande que le parent concerné puisse changer le domicile de l’enfant sans devoir attendre le jugement définitif au fond.
Dans de tels cas, il est suffisant mais nécessaire qu’une procédure effective de recours avec des mesures provisionnelles soit à disposition. Il n’est dès lors pas exclu que les autorités administratives retirent exceptionnellement l’effet suspensif à un éventuel recours. Toutefois, dans de telles circonstances, il faut qu’il soit assuré que le parent concerné ait la possibilité de s’adresser à un juge avant que le retrait de l’effet suspensif n’entre en vigueur et qu’il soit rendu attentif à la procédure à suivre.
Selon la Cour, l’argumentation avancée par les autorités suisses ne permettait pas de justifier l’impossibilité pour les requérants de s’adresser à un juge avant l’entrée en vigueur du retrait de l’effet suspensif. Cela d’autant plus s’agissant d’une procédure relevant du droit de la famille, susceptible d’avoir des conséquences très graves et délicates pour les requérants dans la mesure où des questions concernant les futures relations avec leurs enfants ainsi que leurs droits vis-à-vis de ces derniers étaient directement en jeu.
La conclusion à laquelle arrive la Cour européenne des droits de l’homme dans ces deux arrêts ne peut être que saluée en ce qui concerne la protection accordée aux justiciables face à des décisions rendues par des autorités de protection administratives. Néanmoins, comme cette jurisprudence s’applique uniquement lorsque la décision en question est rendue par une autorité de protection administrative en Suisse, son champ d’application apparaît limité. Ainsi, une autorité de protection judiciaire peut continuer à rendre des décisions concernant le changement de lieu de résidence d’un enfant en retirant l’effet suspensif au recours.
Cette manière de procéder est, à notre avis, hautement problématique. En pratique, nous relevons qu’en cas de désaccord entre les parents, une décision de transfert du domicile d’un enfant à l’étranger est souvent prise à titre de mesures provisionnelles. Or, selon ce qui est prévu dans les législations cantonales, les décisions sur mesures provisionnelles sont rendues par un juge seul et pas par l’autorité de protection in corpore. Au vu des conséquences très importantes sur la vie de l’enfant que ce type de décision peut avoir, notamment en cas de départ dans un pays très lointain, nous estimons que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas suffisamment garanti dans ces circonstances. ❙
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