Un acquittement en première instance puis une condamnation à 16 ans de prison en appel pour le meurtre de sa belle-mère, municipale de Vaux-sur-Morges. L'issue du procès de S. (ou plutôt la seconde étape, puisqu'un recours a été déposé au TF), a stupéfait le grand public, tandis que les juristes n'y ont pas vu de disfonctionnement de la justice. Mais certains se sont tout de même interrogés sur l'administration sommaire des preuves en appel ou la composition différente de la Cour d'une instance à l'autre: la première comprenait des laïcs, la seconde pas.
Pour Bertrand Perrin, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l'Université de Fribourg, cette affaire est certes spectaculaire, mais elle ne doit pas remettre en cause la procédure d'appel. Egalement juge suppléant à la Cour Suprême du canton de Berne, qui connaissait l'appel avant 2011, il estime normal que les seconds juges se basent essentiellement sur le dossier de première instance et ne réadministrent les preuves que de manière limitée. «Il suffit parfois d'une appréciation différente sur l'un ou l'autre point pour que, en deuxième instance, la conviction des juges bascule et qu'ils n'aient pas de doute raisonnable sur la culpabilité du prévenu, commente Bertrand Perrin. C'est le jeu de nos deux degrés de juridiction. Et n'oublions pas que, en généralisant l'instance d'appel à tous les cantons, le CPP a plutôt offert un élargissement au justiciable, puisque les juges peuvent revoir les faits, alors que le recours en cassation ne le permettait que sous l'angle de l'arbitraire.»
Pour André Kuhn, professeur de droit pénal, de procédure pénale et de criminologie aux Universités de Lausanne et de Neuchâtel, le procès de S. est en revanche l'occasion de remettre en question certains points du CPP. «Cette affaire génère chez moi un grand malaise. Car si, sur un même dossier, un tribunal doute et qu'un autre ne doute pas, c'est que le doute existe au moins pour certains juges, et devrait donc profiter à l'accusé. Que ce soit l'instance inférieure ou supérieure qui doute ne joue, pour moi, aucun rôle. Ce système à étages n'a pas été créé avec l'idée que le second est meilleur que le premier.» Pour André Kuhn, il est temps de s'interroger sur la réformatio in pejus, mais aussi sur la possibilité, pour la juridiction d'appel, de ne revoir que les éléments sur lesquels porte le recours et de se prononcer sans effectuer aucune administration des preuves essentielles au dossier. Car dans l'affaire S., «la juridiction d'appel a davantage agi en Cour de cassation. Elle n'a en effet absolument pas réinstruit l'affaire en entendant, par exemple, les experts.»
Juges laïques
Concernant la présence de juges laïques, les deux professeurs se rejoignent. «Si ces juges non professionnels n'ont guère leur place dans des affaires de criminalité économique complexe, ils apportent en revanche un éclairage bienvenu dans des procès touchant à l'intégrité corporelle, en exprimant des opinions dégagées du droit», remarque Bertrand Perrin. «Un canton nomme les juges qu'il considère comme étant les mieux à même de faire ce travail, ajoute André Kuhn. Si on se pose la question de savoir si une juridiction est meilleure qu'une autre, on décrédibilise l'institution dans son ensemble.»