«Je suis Charlie», slogan sur fond noir imaginé par Joachim Roncin à la suite de la tragédie touchant Charlie Hebdo, a fait l’objet de 120 demandes de dépôt de marque depuis cette date, toutes rejetées, auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Elles visaient à commercialiser, sous cette marque, divers objets allant des T-shirt, sacs, tasses, papier d’emballage, vêtements aux préservatifs, en passant par l’armement (!). L’INPI les a toutes rejetées au motif que «Je suis Charlie» n’était pas une marque, cette suite de mots manquant du caractère distinctif à cet effet, également du fait de son utilisation très large par le public.

En droit suisse, relève le spécialiste de la propriété intellectuelle Ivan Cherpillod, la marque «Charlie» a déjà été enregistrée par le passé (pour un appareil faisant de la mousse de lait). L’éventuel motif de refus serait donc tiré du contexte actuel. Le fait qu’il s’agisse, avec «Je suis Charlie», d’un signe de ralliement ne fait pas, en soi, obstacle à ce qu’il puisse, en tant que marque, identifier les produits d’une entreprise. Ont ainsi été enregistrées comme marques «Lyoba», «Wilhelm Tell», «Pa Capona» (jamais battu, en patois saviésan), «never give up». Cela n’empêcherait pas de continuer à l’utiliser comme signe de ralliement, mais seulement d’en prohiber l’emploi comme marque pour des produits identiques ou similaires.

Le caractère trompeur de la marque pourrait être invoqué, si le public achetant ces produits devait penser que le produit de leur vente bénéficie à Charlie Hebdo ou aux victimes.

L’art. 3 de la première directive du Conseil rapprochant le droit des Etats membres sur les marques s’y opposerait, selon certains juristes, car cette marque serait contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. Ivan Cherpillod en doute: «Si Bin Ladin a été refusée en Suisse pour cette raison (dans un premier temps, puis acceptée, ndlr.), on devrait refuser l’enregistrement de «Saïd et Chérif Kouachi», mais pas de «Je suis Charlie».

Reste le droit d’auteur, si l’on admet que «Je suis Charlie» a un caractère suffisamment individuel pour être protégé par ce droit. En France, un tribunal avait considéré que «Charlie Hebdo» était protégé par le droit d’auteur; Joachim Roncin veut définir avec ses avocats la meilleure stratégie à suivre. En Suisse, il est douteux que «Je suis Charlie» puisse prétendre posséder un caractère individuel suffisant, selon le spécialiste.