Avant et après son adhésion à l’UE en 2007, la Roumanie a inscrit l’indépendance de la justice dans plusieurs de ses textes fondamentaux, tels que la Constitution roumaine de 1991, la loi N° 304/2004 concernant l’organisation du pouvoir judiciaire, le nouveau Code de procédure civile de 2012, l’ordonnance d’urgence du gouvernement N° 43 du 4 avril 2002 pour le fonctionnement de la Direction Nationale Anticorruption (DNA) ou la loi N° 144 du 21 mai 2007 concernant la création, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale pour l’intégrité (ANI). Pourtant, en pratique, cette indépendance est très loin d’être une réalité.
Malgré les avancées législatives et institutionnelles de la Roumanie, l’UE a constamment mis la pression sur Bucarest. Pour preuve, dans le 12e rapport MCV (Mécanisme de Coopération et de vérification publié semestriellement à Bruxelles) du 18 juillet 2012, sorti en plein conflit politique entre le président de centre droit Traian Basescu et le gouvernement de centre gauche dirigé par Victor Ponta, la commission exprimait ses craintes face aux atteintes portées à l’Etat de droit, à travers des ordonnances d’urgence (OU) émises par le gouvernement et le Parlement roumains en 2012 dans le but de rendre plus simple la procédure de destitution du Président. En effet, par l’OU N° 38/2012, la Cour Constitutionnelle se voyait dépourvue de son droit d’avis sur les décisions du Parlement, alors que par l’OU N° 41/2012, en changeant les règles sur le référendum juste avant sa tenue, le président pouvait être démis seulement par la majorité des participants au référendum et non plus par la majorité des électeurs inscrits sur les listes électorales. Le rapport considérait ces mesures comme «inacceptables» et imposait à Bucarest de prendre «d’urgence» des contremesures: parmi celles-ci, l’abrogation desdites ordonnances, le respect des décisions de la Cour constitutionnelle ou l’instauration d’un processus transparent quant à la procédure de nomination pour les postes clés, tels que le médiateur, le procureur général ou le chef de la DNA.
Le Gouvernement roumain a donc agi, permettant au 13e rapport MCV, publié le 30 janvier 2013, de certifier «la restauration du respect de la Constitution et des décisions de la Cour constitutionnelle»: alors que l’OU 38/2012 était cataloguée comme «de facto inapplicable», l’OU 41/2012 avait été annulée. En outre, les décisions de la Cour constitutionnelle ayant confirmé l’invalidation du référendum avaient été respectées par le gouvernement. En revanche, le même document déplorait de nouveau «l’absence de l’indépendance de la magistrature qui reste un souci majeur.»
Bucarest a néanmoins continué son travail: un nouveau ministre de la Justice, arrivé en avril 2013, et une nomination surprenante par le premier ministre, pour la direction de la DNA, d’une personnalité proche du président, pourtant son adversaire politique.
A la fin de mai 2013, la Haute Cour de cassation et Justice roumaine a créé la surprise en envoyant en prison un ancien ministre de la Défense, l’ex-chef de l’état-major de l’armée ainsi qu’un ancien europarlementaire très médiatisé, alors que l’instance précédente les avait acquittés sur la base des mêmes faits juridiques. Certains ont dénoncé l’absence de l’indépendance de la justice et la volonté de Bucarest de se plier à la requête de Bruxelles s’agissant des cas de grande corruption, alors que l’existence des nouveaux moyens de preuve n’était pas établie (fait déjà sanctionné par la CourEDH dans l’affaire Flueras c. Romania).
De manière générale, force est de constater que, en dépit des avancées, l’indépendance de la justice roumaine n’est encore qu’un objectif, étant toujours tributaire de modifications législatives parfois incohérentes, des clivages politiques, des problèmes économiques ainsi que des mentalités du passé.
Bogdan Mihalache, Dr en droit, LL.M, avocat stagiaire Eversheds à Berne, professeur invité par la chaire Unesco de Bucarest, où il a enseigné, à la fin de 2011 et à la fin de 2012, le cours «Législation culturelle en Europe» qu’il a corédigé.