Les Pays-Bas sont réputés pour la clémence de leurs autorités fiscales et l'étendue de leur réseau de conventions de double imposition. C'est la raison pour laquelle de nombreuses multinationales y élisent domicile, les fiduciaires y fleurissent et la recherche scientifique dans ce domaine y est très développée. C'est également un des motifs de mon séjour en tant que doctorant dans un centre de recherche en droit fiscal international réputé.
Dans la foulée, le système fiscal hollandais n'est pas étranger à la présence frappante de nombreux «expatriés» hautement qualifiés. En effet, mon pays d'adoption propose une incitation fiscale très avantageuse pour ce type de contribuables, visiblement chaleureusement bienvenus. Selon ce système, les employés d'entreprises étrangères avec des expériences dans des domaines où la main-d'œuvre est rare ou inexistante sur le marché local peuvent faire valoir une déduction de 30% de leur salaire. Sur une période de dix ans depuis le moment où ils sont relocalisés aux Pays-Bas, ces ingénieurs, médecins et autres architectes ne sont imposés que sur 70% de leur revenu. Les 30% tronqués n'étant pas non plus pris en compte dans la base imposable, le taux d'impôt est également réduit sur la partie imposable de leur salaire.
Ce système d'incitation fiscale, plus connu sous le nom de «30% tax ruling» compense indirectement le déficit structurel du marché du travail local. Faute de grives, on ne mange pas des merles, mais on attire fiscalement la grive. Au lieu de combler un besoin sur le marché local en investissant par exemple dans la formation, les Pays-Bas attirent des diplômés en provenance de l'étranger et profitent indirectement de l'éducation qu'ils y ont reçue. Cette fuite de cerveaux, par laquelle des ingénieurs, médecins et architectes vont chercher richesse (et redistribuer cette dernière) sous des cieux économiques plus propices se fait en effet au détriment des pays formateurs.
On peut d'ailleurs se demander où est la limite de telles incitations fiscales. Dans des cas extrêmes, les mesures visant à attirer des bons contribuables pourraient permettre à des Etats de renoncer à former les travailleurs de demain et de se servir simplement dans le stock des pays voisins. Ce phénomène contribuerait à rendre précaires les Etats de départ qui perdraient des potentiels de développement économique. La fiscalité, dont le but est originairement de remplir les caisses de l'Etat, n'est-elle pas corrompue lorsqu'elle a un but de politique économique?
A l'heure où la fiscalité suisse (imposition à forfait, sociétés auxiliaires ou mixtes ou encore secret fiscal) est sous les feux de la critique, il semblerait que le système hollandais, paradoxalement, ne fait pas de vague. Alors que l'Union européenne et l'OCDE lancent une chasse aux sorcières à ce qu'elles considèrent comme de la concurrence déloyale, il faut admettre que la Suisse n'est pas le dernier de la classe qu'on dépeint parfois. Même s'il est vrai que notre pays dispose d'autres moyens pour s'attacher les services de travailleurs étrangers qualifiés, notamment des salaires traditionnellement élevés, et qu'elle peut se passer d'une incitation similaire à celle présentée ici, il ne faut pas oublier que nos voisins, eux, n'hésitent pas à détourner la fiscalité de ses buts primaires pour atteindre leur objectif.
Thierry Obrist, avocat et titulaire d'un MAS in International Taxation (Unine), il fait un séjour de recherche doctorale à l'International Bureau for Fiscal Documentation à Amsterdam