«Voulez-vous un peu d'eau chaude?» Anne Héritier Lachat ressemble à la boutade qu'elle lance au début de l'entretien, au moment de proposer à son interlocutrice une boisson qui patiente depuis quelque temps sous le triomphant soleil d'avril. Directe au point de paraître parfois presque brusque, adepte du franc-parler et sachant ce qu'elle veut: «Surtout, ne mettez pas ma photo en couverture du magazine!» Et ce que cette femme veut, elle l'obtient. Par exemple, de garder un 5% de participation à des enseignements au Centre de droit bancaire et financier de l'Université de Genève, alors que la présidence de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers est en principe un mandat exclusif.
Préoccupée par les inégalités
Son parcours est peu commun. Cette femme de 63 ans a en effet commencé sa carrière comme juriste au Centre social protestant (CSP) à Genève, une expérience qui, tout comme celle de juge au Tribunal de première instance et à la Cour de justice, lui a «appris la vie au contact des gens». Préoccupée par l'accroissement des inégalités, elle a maintenu longtemps des liens avec le CSP Genève, dont elle fit partie du comité. Membre des Juristes progressistes et du parti socialiste, auteure d'une thèse sur les pots-de-vin1 et notamment de publications sur la corruption2, elle se définit clairement comme «une femme de gauche», mais précise que «tout le monde savait ce que j'avais écrit et quelles étaient mes positions, or mon parcours n'a pas causé de difficultés au cours du processus de nomination» à la présidence de la Finma. Membre dès 2005 de la Commission fédérale des banques (CFB), puis, depuis 2009, du conseil d'administration de la Finma, elle ne voit aucune contradiction avec son parcours entamé au CSP: «C'est une tâche qui a un certain rapport avec l'activité judiciaire et vise aussi à trouver des solutions générales aux conflits.»
Enquêtes particulières
Ce ne serait donc pas la surprise de découvrir «une louve dans la bergerie» qui expliquerait le tollé émanant de certains milieux financiers - un postulat déposé au Conseil des Etats demande de «trouver un juste équilibre entre les exigences de la surveillance et la compétitivité de la place financière» et de soumettre l'autorité de contrôle à une expertise indépendante. «Beaucoup de ce qui est ressenti comme nouveauté n'est, en réalité, qu'une conséquence de la crise de 2007», estime la présidente de la Finma. Le ton a-t-il changé depuis votre nomination? C'est la pression conjoncturelle et une nouvelle stratégie générale, insiste-t-elle, et non ses propres inclinations, qui conduisent la Finma à travailler différemment: «Nous nous sommes professionnalisés, nous avons plus régulièrement des contacts avec les établissements assujettis, aussi sur place, et nous utilisons plus systématiquement des tiers mandatés pour des tâches de surveillance et aussi pour des enquêtes particulières, car nous n'employons que 470 personnes.» Et les réactions à la suite de vos actions vous gênent-elles? «Non, c'est normal que nous suscitions des réactions chaque fois que nous édictons une mesure. Nous prenons ces réactions au sérieux, mais devons, comme autorité de surveillance, aussi vivre avec elles. Nous l'acceptons: Dans un marché sous pression, le bouc émissaire idéal est le surveillant.»
Des réactions critiques ont notamment été soulevées par les déclarations concernant les rétrocessions: «Nous avions annoncé dans une communication notre intention de thématiser, dans le cadre de notre surveillance, le traitement par les banques de l'arrêt du Tribunal fédéral. Nous avons ensuite collecté des informations auprès des instituts, et les sociétés d'audit vont examiner, dans le cadre de la surveillance courante, la manière dont les banques ont concrètement géré la problématique.»
L'amende, un échec
La présidente de la Finma est-elle satisfaite des instruments juridiques à sa disposition? Ne regrette-t-elle pas de n'avoir pu prononcer des amendes dans le cas du Libor? «Nous ne cherchons pas cette compétence. Nous devons trouver des solutions qui améliorent la situation à l'avenir, et l'amende est fondamentalement un constat d'échec. Notre rôle est de rétablir l'ordre légal avec des sanctions administratives qui peuvent aller jusqu'au retrait de l'autorisation de pratiquer.»
A propos des sociétés de négoce de matières premières, qui représentent un pan important de l'économie helvétique avec près de 500 entreprises et 10 000 collaborateurs, elle ne déplore pas que la Finma n'ait pas, de par la loi, de compétences de contrôle: «Il appartient aux politiques et au législateur d'exiger cette meilleure surveillance si elle est jugée utile.» Elle regrette cependant «le manque de transparence sur ce que ces sociétés font et ce qu'elles gagnent. Il me semble que, si elles étaient plus transparentes sur leurs activités, on pourrait en déduire qu'il n'est pas besoin d'une nouvelle réglementation», telle qu'elle est à l'étude en Europe. «Nous suivons ces développements de près», assure Anne Héritier Lachat.
Une «cause de liberté»
Les critiques ayant porté sur l'indépendance de la Finma sont pareillement balayées. Le fait que les activités de l'organe de contrôle soient financées par des émoluments payés par ceux-là même qui sont contrôlés? «Une excellente chose. La Commission fédérale des banques était, à l'origine, financée par le budget de l'Etat. Aujourd'hui, les taxes sont précisées par ordonnance et dépendent, d'une part, du statut et d'autre part, des actes de surveillance effectués. Ce n'est pas une cause de dépendance, mais de liberté. Cela nous donne les moyens de notre politique, nous met à l'abri des pressions et fixe un cadre légal clair pour tous.» Les craintes ayant porté sur l'activité antérieure, pour UBS, du chef de la division Banques, Mark Branson, dans l'affaire du Libor? «Nous avons des règles de récusation et un système de compliance très stricts qui ont été mis en œuvre de manière très cohérente. Nous étions dans un cas d'apparence de conflit d'intérêts et je vous assure que M. Branson n'a pas participé aux discussions sur ce thème. Il est sain que le Parlement ait posé des questions, et les Commissions de gestion des Chambres fédérales ont pu constater que la Finma avait exercé de manière appropriée sa surveillance.»
Les conflits de compétence avec la Banque nationale (BNS)? «Nous avons conclu un mémorandum, car il est clair qu'il y a des domaines où il peut exister des conflits de compétences. Nous travaillons souvent, et bien, avec la BNS. Mais il existe des domaines, par exemple le marché hypothécaire, qui peuvent être considérés dans des perspectives variées. C'est pourquoi il est bon de savoir qui est responsable pour quelles tâches.»
Vous parlez du marché hypothécaire: est-ce que les diverses mesures portent leurs fruits? «Oui, elles déploient leurs effets. Toutefois, des mesures qui ne visent que l'octroi de crédit, influençant donc uniquement le côté de l'offre, ne peuvent, à elles seules, freiner la hausse du marché hypothécaire: c'est un grand fantasme de le croire.»
Lausanne pas prioritaire
L'ouverture d'un bureau de la Finma à Lausanne? «L'idée reste dans l'air, mais pour le moment elle n'est pas prioritaire. Il faut que l'on ait une masse critique de travail suffisante et en Suisse romande, la croissance n'est pas telle que ce soit actuellement justifié.» Le recrutement de personnel romand se fera d'autant plus facilement que la Finma déménagera bientôt dans le quartier de la gare de Berne, assure-t-elle.
La protection des clients des banques et des vendeurs de fonds de placement est au cœur de la réglementation actuellement discutée sur la distribution de produits financiers, basée sur un papier de position de la Finma du 24 février 2012. «On règle la transparence due au client, c'est-à-dire, plus précisément, qu'il faut que les clients puissent mieux comprendre ce qu'ils achètent et aussi, combien ils pourraient perdre» si les placements tournent court. «C'est vrai pour les fonds de placement, tout comme pour la gestion de fortune traditionnelle. Il est important que cette réglementation s'applique lors de la distribution, quand le client a un contact avec son banquier ou son assureur, mais aussi avec tous les intermédiaires financiers que nous ne surveillons pas.» Pour les premiers, la Finma peut déjà aujourd'hui intervenir. Pour les seconds, il faut créer cette nouvelle loi sur les services financiers afin de surveiller de la même manière tous les distributeurs de produits financiers.
Favorable aux quotas
Au moment de conclure, Anne Héritier Lachat tient à se dire «favorable aux quotas pour augmenter la part des femmes dans les conseils d'administration. Il y a un manque de femmes à la fois dans la hiérarchie et dans les milieux financiers en général», dit celle qui, constamment, «participe à nombre de séances où je suis la seule femme, alors que des personnalités capables existent, qu'il faut juste aller les chercher». Ce sera la seule fantaisie d'une personnalité qui se dit «calviniste» jusque dans ses hobbys, allant du jardinage à la musique classique, en passant par la marche à pied et le ski de fond. Mais qui sait accueillir les surprises: le premier de ses fils, suivant la tradition familiale, est avocat. Le second est égyptologue.
1 Anne HERITIER, Les pots-de-vin, Genève, Georg, 1981.
2 Anne HERITIER LACHAT, La corruption, le droit civil, le droit de la concurrence et le droit fiscal, in Plaidoyer 3/97, pp. 49ss.