Procédure pénale
Droits de la victime dans le procès du mineur
Ni la CEDH ni la CDE ne donnent de droits à la victime mineure dans le procès d’un mineur.
Faits:
A. Par jugement du 19 décembre 2006, le Tribunal de la jeunesse du canton de Genève a libéré A, B, C et D des fins de la poursuite pénale pour contrainte sexuelle et lésions corporelles graves, subsidiairement lésions corporelles simples, qu'ils étaient suspectés avoir infligées à X.
B. Cette dernière s'est pourvue en cassation contre ce jugement. De son côté, le Procureur général a déposé quatre pourvois.
Le 24 janvier 2007, la Présidente de la cour de cassation cantonale a informé X que son pourvoi paraissait à première vue irrecevable et lui a imparti un bref délai pour le retirer ou le maintenir.
Le 29 janvier 2007 le Procureur général a sollicité une audience de plaidoirie sur la question de la recevabilité du pourvoi de X. Au cours de cette audience, qui s'est tenue le 23 février 2007, les avocats de la recourante et des quatre intimés ainsi que le Procureur général se sont exprimés. A la requête de la recourante et du Procureur général, la cour de cassation cantonale a décidé de rendre un arrêt sur la seule question de la recevabilité du pourvoi de X, tout en poursuivant l'instruction des quatre pourvois du Ministère public sur le fond.
C. Par arrêt du 16 mars 2007, la Cour de cassation genevoise a déclaré irrecevable le pourvoi de X. En substance, elle a considéré que les art. 39 et 49 de la loi genevoise sur la juridiction pour enfants et adolescents du 21 septembre 1973 (LJEA), qui prohibent la constitution de partie civile devant les juridictions pour mineurs et qui écartent l'application des art. 8 al. 1 et 9 al. 1 à 3 LAVI, étaient conformes à l'art. 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (CDE; RS 0.107). Le droit d'être entendu de la jeune fille avait été respecté puisqu'elle avait été auditionnée à diverses reprises par la Doctoresse Monique Gauthey et que le juge suppléant chargé de l'instruction de la procédure avait offert de l'entendre lui-même, hors la présence des mis en cause, proposition qui avait toutefois été rejetée.
D. X forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Elle conclut à ce qu'il soit ordonné à la cour de cassation cantonale de lui octroyer un délai de 30 jours pour motiver son pourvoi et de l'autoriser à se constituer partie civile contre les quatre intimés devant le Tribunal de la jeunesse.
Les intimés concluent, chacun, au rejet du recours. Le Ministère public propose son admission. L'autorité cantonale se réfère à son arrêt.
Considérant en droit:
1. [recevabilité]
2. [exigence de motivation]
3. La recourante se plaint d'une violation de l'art. 12 CDE. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir déclaré son pourvoi irrecevable, au motif que, faute d'être habilitée à se constituer partie civile devant le Tribunal de la jeunesse, elle n'avait pas qualité pour se pourvoir en cassation contre le jugement de ce tribunal. Elle fait valoir que les art. 39 al. 2 et 4 et 49 LJEA que lui a opposés la cour cantonale sont incompatibles avec la disposition conventionnelle qu'elle invoque.
3.1 Dans le cadre de ce grief, la recourante évoque l'art. 29 al. 2 Cst., semblant ainsi vouloir également se plaindre d'une violation du droit d'être entendu garanti par cette disposition. Elle n'étaye toutefois pas ce moyen par une argumentation distincte de celle qu'elle présente à l'appui de celui pris d'une violation de l'art. 12 CDE. Dès lors, sauf à le considérer comme irrecevable, faute d'être motivé conformément aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF, on doit en déduire que le grief de violation de l'art. 29 al. 2 Cst. n'a en réalité pas de portée propre par rapport au grief de violation de l'art. 12 CDE, qu'il suffit donc d'examiner.
3.2 Un recours pour violation du droit international suppose que la disposition conventionnelle dont la violation est invoquée soit directement applicable (self-executing). Tel est le cas, s'il s'agit d'une norme dont le contenu est suffisamment précis et clair pour qu'elle puisse constituer le fondement d'une décision concrète; la norme doit énoncer les droits et obligations d'un particulier et s'adresser aux autorités d'application de la loi. Ce caractère a notamment été reconnu à l'art. 12 CDE, dont la violation peut donc être invoquée devant le Tribunal fédéral (ATF 133 I 286 consid. 3.2 p. 291; 124 III 90 consid. 3a p. 91/92).
3.3 L'art. 12 ch. 1 CDE dispose que les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. Le chiffre 2 de cette disposition prévoit qu'à cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
3.3.1 Cette norme conventionnelle ne confère pas à l'enfant le droit inconditionnel d'être entendu oralement et personnellement dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant. Elle garantit seulement qu'il puisse faire valoir d'une manière appropriée son point de vue, par exemple dans une prise de position écrite de son représentant (ATF 124 II 361 consid. 3c p. 368 et les références citées; cf. aussi arrêts 2C_487/2007 consid. 4, 2A.195/2006 consid. 3. 5P.392/2003 consid. 2.1.1 et 1P.549/2001 consid. 3). La portée du droit d'être entendu que l'art. 12 ch. 1 CDE reconnaît à l'enfant et l'obligation correspondante, découlant de l'art. 12 ch. 2 CDE, de lui en donner la possibilité s'apparentent à celles qui, en droit civil interne, découlent de l'art. 144 al. 2 CC, respectivement de l'art. 314 ch. 1 CC (ATF 131 III 553 consid. 1.1 p. 554; cf. aussi arrêts 5A.735/2007 consid. 2.1 et 5P.145/2005 consid. 2.1).
Cette jurisprudence est en principe transposable en matière de procédure pénale. D'une part, il peut être nécessaire de procéder à une audition personnelle de l'enfant en vue de la sauvegarde de ses droits de la personnalité. D'autre part, il y a lieu d'examiner concrètement si une audition de l'enfant se justifie sous l'angle de la pertinence du moyen de preuve et du besoin de protection de la victime mineure, respectivement du témoin mineur. En principe, la possibilité devra être offerte à l'enfant d'exprimer son opinion s'il a la capacité et la maturité nécessaires pour le faire. Le juge devra toutefois procéder à une appréciation, en tenant compte, notamment, de l'âge de l'enfant, de sa capacité de se souvenir et de communiquer, de la complexité de l'affaire et des exigences procédurales quant à la valeur probante des déclarations. En particulier, il devra examiner s'il n'est pas préférable de faire entendre l'enfant par un tiers, par exemple par son représentant ou par un spécialiste de l'enfance. Ces précautions se justifient notamment pour éviter le risque d'une «victimisation secondaire», soit d'un nouveau traumatisme consécutif au fait que, par un nouveau récit des événements, la victime peut être conduite à les revivre (cf. arrêt 1P.549/2001 consid. 3.2 ss et les références citées.
3.3.2 De ce qui précède, il résulte que le droit d'exprimer librement son opinion que l'art. 12 ch. 1 CDE garantit à l'enfant n'équivaut pas à un droit d'être entendu au sens procédural, tel qu'il peut notamment être déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. Il s'agit, comme cela résulte du texte de l'art. 12 CDE, d'un droit d'exprimer librement son opinion ou, autrement dit, de faire valoir son point de vue, non pas d'un droit de participer à la procédure judiciaire à l'instar d'une partie, avec les prérogatives liées à ce statut, telles que le droit de fournir des preuves, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer sur le résultat de celle-ci.
L'audition de l'enfant doit par ailleurs se faire de manière appropriée, en fonction notamment de son âge, de ses capacités et de son degré de maturité, non pas selon des règles rigides. Autant que possible, l'enfant sera entendu directement par le juge ou l'autorité. Suivant les circonstances, il pourra cependant se justifier de le faire entendre par un tiers, tel que son représentant ou un spécialiste de l'enfance. Ce qui est en définitive déterminant, c'est que l'enfant puisse s'exprimer sur toute question l'intéressant et qu'il puisse le faire librement, les modalités de son audition devant être adaptées à ce but.
3.4 L'art. 9 al. 4 LAVI fonde la compétence des cantons de déroger aux art. 8 al. 1 let. a-c et9 al. 1-3 LAVI pour les procédures dirigées contre les enfants et les adolescents. Le canton de Genève a fait usage de cette faculté, en prévoyant, à l'art. 49 al. 1 LJEA, qu'aucune constitution de partie civile n'est admise devant les juridictions pour enfants et adolescents, les réclamations civiles du lésé demeurant réservées, et en précisant, à l'art. 49 al. 2 LJEA, que les art. 8 al. 1 et 9 al. 1 à 3 LAVI ne s'appliquent pas devant ces juridictions. Comme conséquence, l'art. 39 al. 2 LJEA ne mentionne pas la partie civile comme légitimée à recourir en cassation ou en révision, ce qui ressort au demeurant de l'art. 39 al. 4 LJEA.
3.5 En procédure pénale genevoise, le lésé ne peut participer au procès pénal pour demander la condamnation de l'auteur de l'infraction. Il ne peut le faire que pour exercer l'action civile tendant à la réparation du préjudice subi consécutivement à l'infraction, soit en se constituant partie civile. A raison de cette spécificité, les dispositions de droit cantonal précitées ont pour effet que le lésé ne peut intervenir comme partie dans le procès pénal devant les juri-dictions pour mineurs, ni se pourvoir en cassation contre les jugements rendus par ces juridictions. Par voie de conséquence, le lésé ne peut, dans les procédures dirigées contre les mineurs, exercer les droits liés au statut de partie à une procédure, notamment celui de fournir des preuves, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer sur le résultat de celles-ci. Cela ne signifie cependant pas que les dispositions de droit cantonal litigieuses feraient obstacle à une audition de l'enfant au sens de l'art. 12 CDE, plus précisément qu'elles priveraient la victime mineure de son droit d'exprimer librement son opinion sur les questions qui l'intéressent, avec pour corollaire que le juge ne serait pas tenu de lui offrir la possibilité d'exercer ce droit. Rien dans l'arrêt attaqué ne l'indique. Au contraire.
Des constatations de fait cantonales, qui ne sont pas remises en cause, il ressort en effet que la recourante a eu l'occasion d'exprimer son point de vue dans le cadre de son audition par une psychiatre, la Doctoresse G, qui l'a entendue à plusieurs reprises et qui a établi un rapport versé à la procédure. De plus et surtout, la recourante s'est vu offrir la possibilité, par un juge suppléant du Tribunal de la jeunesse, d'être entendue par lui, hors de la présence des prévenus, proposition qu'elle a toutefois refusée par l'entremise de ses avocats.
3.6 Sur le vu de ce qui précède, on ne discerne pas d'incompatibilité entre les dispositions de droit cantonal litigieuses et l'art. 12 CDE. En particulier, on ne voit pas que les premières auraient pour conséquence d'exclure une audition de l’en-fant, plus précisément de la victime mineure, au sens de l'art. 12 CDE. La recourante n'a en tout cas pas été privée d'exercer le droit découlant pour elle de cette dernière disposition. Le grief est par conséquent infondé.
4. La recourante se plaint d'une violation des art. 6 et 13 CEDH. Elle soutient que les art. 39 et 49 LJEA, en tant qu'ils l'empêchent de se constituer partie civile, respectivement de se pourvoir en cassation, lui ferment l'accès à un tribunal, en violation des dispositions conventionnelles qu'elle invoque.
4.1 Dans un arrêt non publié 6P.55/2003 et 6S.140 2003, du 6 août 2003, le Tribunal fédéral a été amené à examiner la question ici litigieuse et a nié une violation des art. 6 et 13 CEDH. Il a observé que le lésé ne jouit pas des garanties procédurales de l'art. 6 CEDH et que celles-ci ne s'appliquent pas au procès civil par adhésion lorsqu'il existe la possibilité, comme dans le canton de Genève, d'un procès civil ordinaire. Subséquemment, il ne pouvait y avoir de violation de l'art. 13 CEDH (cf. arrêt cité, consid. 2.3; Mark Villiger, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention, 2e éd. Zurich 1999, no 386 et 392).
4.2 La recourante estime que cette jurisprudence doit être modifiée. A l'appui, elle se réfère à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Al-Adsani c. Royaume-Uni du 21 novembre 2001.
4.2.1 L'arrêt cité par la recourante ne lui est d'aucun secours. Le paragraphe 47 de cet arrêt, dont elle se prévaut, se prononce uniquement sur l'applicabilité de l'art. 6 ch. 1 CEDH au cas qui était soumis à la Cour européenne, non pas sur le bien-fondé du grief de violation de cette disposition. Cette question a été examinée aux paragraphes 52 ss. Il en résulte que la Cour européenne avait à déterminer si, en opposant au requérant l'immunité juridictionnelle d'un Etat tiers, le Koweit, et, partant, en refusant d'admettre le requérant à intenter sur son territoire une action civile contre cet Etat, le Royaume-Uni avait violé l'art. 6 ch. 1 CEDH, ce qu'elle a nié. L'arrêt invoqué par la recourante ne statue donc pas sur la question ici litigieuse, soit celle de savoir si l'impossibilité de se constituer partie civile dans une procédure pénale dirigée contre des mineurs constituerait une violation de l'art. 6 ch. 1 CEDH.
4.2.2 Au demeurant, la recourante ne se trouve pas privée de tout accès à la justice, puisque la voie de l'action civile lui est ouverte, comme cela ressort expressément de l'art. 49 al. 1 LJEA, qui réserve les réclamations civiles du lésé. Elle n'est empêchée que d'intervenir comme partie à la procédure pénale, du fait que la constitution de partie civile, qui en est la condition pour le lésé en procédure pénale genevoise, est exclue devant les juridictions pour mineurs (cf. supra, consid. 3.5). Cet empêchement, pour les motifs exposés dans l'arrêt 6P.55/2003 et 6S.140/2003 consid. 2.3, ne viole pas l'art. 6 ch. 1 CEDH ni, par conséquent, l'art. 13 CEDH. Il n'y a pas lieu de s'écarter de cette jurisprudence, qui garde sa pertinence et dont le raisonnement n'est d'ailleurs même pas critiqué par la recourante.
4.3 Il suit de là que le grief de violation de l'art. 6 ch. 1 CEDH est infondé. Subséquemment, il en va de même de celui pris d'une violation de l'art. 13 CEDH.
5. En conclusion, l'arrêt attaqué ne viole ni l'art. 12 CDE ni les art. 6 ch. 1 et 13 CEDH en tant qu'il dénie à la recourante la qualité pour se pourvoir en cassation, faute par elle de pouvoir se constituer partie civile devant le Tribunal de la jeunesse et, partant, de pouvoir intervenir dans la procédure devant cette juridiction.
(ATF 6B_133/2007 ajp du 29 mai 2008)
Commentaire
L’essentiel reste à faire
L’unification de la procédure pénale des mineurs est imminente. Pour mémoire, l’article 39 DPMin renvoie actuellement pour la procédure aux réglementations en vigueur dans les cantons, et certains, comme Genève, excluent la partie civile du procès. L’avant-projet de la loi fédérale sur la procédure (unifiée) applicable aux mineurs (LFPPM) de 2001 introduisait la possibilité de se constituer partie civile, avec ces limites: «La partie civile peut participer aux opérations d’instruction, pour autant que cela n’entre pas en conflit avec l’intérêt du mineur prévenu [et] la comparution de la partie civile aux débats n’est pas autorisée, sauf circonstances particulières le commandant.» (Art. 32 al. 2 et 3). Au terme de la procédure de consultation, une majorité nette était favorable à l’admission de la partie civile (rapport de synthèse OFJ de février 2003, p. 109). Dans le projet définitif soumis aux Chambres (FF 2006 1543), comme dans sa version remaniée (FF 2008 2793), la partie civile est devenue la «partie plaignante» et son accès limité à la procédure et aux débats est resté le même (art. 21). Mais alors que le droit de recourir n’était pas clairement réglé dans l’avant-projet (art. 45 s.), il semble être reconnu à la partie civile dans le projet définitif, par renvoi à l’article 390 al. 2 du projet de CPP fédéral de 2005 (FF 2005 1057), prévoyant que «la partie plaignante peut interjeter recours sur la question de la culpabilité et au sujet de ses prétentions civiles» (et repris en substance à l’article 382 al. 2 CPP).
Le rapport explicatif du Conseil fédéral de 2001 se référait explicitement à la Convention sur les droits de l’enfant (CDE) pour retenir l’obligation d’entendre la parole de l’enfant, et soulignait: «Redisons la portée contraignante de ce texte pour notre pays» (p. 19; v. ég. pp. 27 et 28). Il est vrai que ce développement ne s’appliquait qu’à l’auteur. Mais le même rapport indiquait à l’appui de la possibilité de se constituer partie civile: «Il semble particulièrement éducatif de pouvoir confronter l’auteur d’un délit aux conséquences de celui-ci, d’une part pour éveiller sa conscience de la portée de son comportement, d’autre part pour l’amener à réparer le tort causé.» (p. 79), et surtout il ajoutait: «De toute évidence, pour qu’il n’y ait pas collision entre LAVI et procédure pénale des mineurs, il est nécessaire de permettre à la partie civile de se constituer devant les instances des mineurs.» (p. 81).
Le Tribunal fédéral s’est montré beaucoup plus frileux, alors que l’occasion lui était donnée, sur un cas particulièrement grave, d’affirmer le principe d’égal accès de la partie civile à la procédure des mineurs. Dans cette affaire genevoise, la victime devra vivre avec un acquittement au bénéfice du doute qu’on lui aura jusqu’au bout interdit de discuter. La parole est désormais au législateur.