Assurances Sociales
Course à la valeur probante
La question de la valeur probante de tel ou tel rapport médical est, dans beaucoup d’affaires d’assurances sociales portées devant les tribunaux, devenue déterminante. Et s’agissant de cette valeur, le TFA n’hésite pas à trancher tous azimuts.
1 Cas dans lequel le TFA a estimé ne pas pouvoir d’emblée se rallier à l’avis exprimé par le médecin du COPAI (Arrêt du TFA du 17 novembre 2003, I 707/02)
Extrait des considérants en droit
2.3 Dans son appréciation des données médicales effectuée le 22 mai 2000, l’intimé, se référant aux observations professionnelles effectuées en 1998 au COPAI de Genève, a considéré que si l’on faisait abstraction de certains éléments ne se fondant pas sur l’atteinte à la santé proprement dite, le recourant serait à même d’exploiter une aptitude au travail entière dans de nombreux secteurs de l’économie, où l’éventail des activités «adaptées» pourrait être relativement large puisque l’assuré était positivement orienté à l’égard du travail, et que dans ces conditions le taux exigible serait probablement de 100%.
2.4 Ce n’est pas dans ce sens, toutefois, que le docteur B., spécialiste FMH en médecine interne à Y. et médecin-conseil du CIP, s’est exprimé à l’issue du stage d’observation professionnelle. Dans un rapport du
19 novembre 1998, il a indiqué que l’évolution se caractérisait par l’apparition d’un syndrome douloureux de tout le membre supérieur droit, concernant surtout l’épaule, pour lequel aucune explication médicale satisfaisante n’avait pu être trouvée. Les timides utilisations du bras droit n’étaient pas du tout exploitables et, quelles qu’en soient les raisons et les composantes physiques ou psychiques, il fallait considérer que l’assuré était et resterait monomanuel. En tenant compte de ce qui précède, il était vraisemblable que celui-ci pouvait travailler, mais avec un rendement très réduit, ce qui ne serait sans doute exploitable pratiquement qu’en milieu protégé.
Les conclusions du docteur B. sont du reste corroborées par les constatations faites par le COPAI au terme du stage suivi par l’assuré, dont les informations recueillies à cette occasion complètent en l’occurrence utilement les données médicales (à propos du rôle du COPAI pour l’évaluation de l’invalidité: L’instruction des possibilités de gain des personnes prétendant une rente, compte tenu d’une séance du 10 novembre 1989 consacrée aux problèmes de l’expertise médicale et professionnelle, RCC 1990 p. 59 s.; Karl Abegg, Coup d’œil sur l’activité des centres d’observation professionnelle de l’AI [COPAI], RCC 1985 p. 246 s.). En effet, la synthèse du 23 novembre 1998 montre que l’inaptitude au travail est définitive. Par ailleurs, d’après le rapport final du 13 novembre 1998, le recourant pourrait travailler selon un horaire de 40 heures par semaine, mais le rendement serait d’environ 40% dans un emploi de servant de machine (simple et répétitif) pouvant convenir à une personne quasi monomanuelle et sous réserve d’un avis médical contraire.
2.5 Il subsiste des divergences, spécialement quant aux conséquences sur la capacité de travail du recourant. Dans son rapport du 19 novembre 1998, le docteur B. a conclu à un rendement très réduit, dont on peut se demander s’il est susceptible d’intéresser le monde du travail. De son côté, l’intimé, dans un rapport intermédiaire du 22 mai 2000, a retenu un taux de capacité de travail de 100% dans une activité adaptée aux capacités physiques de l’assuré. Pourtant, ce taux ne figure ni dans la prise de position du 11 janvier 2000 du docteur C., médecin-conseil de l’assurance-invalidité, ni dans le rapport du docteur A. du
18 avril 2000.
On ne saurait donc, sans autres preuves, confirmer ni infirmer le taux de capacité de travail de 100% retenu par les premiers juges. Contrairement à l’avis de l’intimé, on ignore, en l’état du dossier, quel facteur inhérent à la personne de l’assuré – et étranger à l’invalidité – prédominerait dans le cas d’espèce. Sur ce point, une instruction complémentaire est nécessaire, afin que l’on sache si les éléments mis en évidence par le docteur C. dans sa prise de position du 11 janvier 2000 sont secondaires par rapport aux autres causes indiquées dans le rapport final du COPAI du 13 novembre 1998 et qui sont directement liées aux capacités physiques du recourant (arrêt P. du 23 août 2001 [I 699/00]). Pour cette raison, il n’est pas non plus possible de confirmer ni d’infirmer le taux de 40% retenu par le COPAI.
Dès lors il est nécessaire d’annuler le jugement attaqué et la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’intimé pour qu’il procède, dans le sens de ce qui précède, à une instruction complémentaire sur le point de savoir si et dans quelle mesure le recourant subit une diminution de sa capacité de travail en raison de ses problèmes physiques. Il importera également de déterminer à nouveau si et, cas échéant, dans quelles activités le recourant pourrait être incapable de travailler, subsidiairement quelles sont les activités exigibles. Quant à la question d’une aide éventuelle au placement, elle ne se posera qu’une fois ces questions élucidées.
2 Cas dans lequel le TFA n’a jugé probant ni le rapport des médecins de l’AI ni celui du médecin traitant (Arrêt du TFA du 15 janvier 2004, I 507/03)
Extrait des considérants en droit
5.2 En l’espèce, les premiers juges ont confirmé la décision de l’office intimé en se fondant essentiellement sur les rapports des 23 juillet et 5 novembre 2001 du SMR, selon lesquels l’assuré était apte à exercer à 100% une activité légère tenant compte d’un certain nombre de limitations (petite mécanique à l’établi ou dans l’horlogerie).
Longs d’une page au total, ces deux avis ne comprennent ni anamnèse, ni observation clinique, ni description des plaintes du recourant. Les conclusions des médecins du SMR s’appuient entièrement sur d’autres appréciations médicales dont elles retiennent surtout les éléments qui minimisent les atteintes à la santé de l’assuré. Au surplus, la détermination de la capacité résiduelle de travail est théorique et ne tient pas compte du fait que le recourant a exercé depuis son enfance des activités physiquement lourdes. Dans ces circonstances, on ne saurait accorder valeur probante aux rapports des médecins du SMR.
Par ailleurs, aucun autre médecin ne s’est prononcé sur le taux de la capacité de travail du recourant, hormis le médecin traitant. Or, l’avis de ce dernier n’emporte pas non plus la conviction. En effet, ce praticien a fixé la capacité résiduelle de travail du recourant dans une activité adaptée à 50%, le 4 décembre 2000, pour la réduire, sans explication, à 30% neuf mois plus tard (lettre du 24 août 2001). De surcroît, il a estimé, de manière irréaliste, que son patient était apte à exercer des petits travaux d’entretien, alors que les positions de latéroflexion et d’antéflexion sont proscrites, selon les constatations des médecins du SMR.
Sur le vu de ce qui précède, les premiers juges n’étaient pas fondés à statuer, comme ils l’ont fait, sur la base des seuls avis médicaux au dossier. Il y a donc lieu de renvoyer la cause à l’intimé afin qu’il procède à une expertise dans le but de déterminer avec précision la capacité de travail résiduelle du recourant, compte tenu de toutes les affections dont il souffre ainsi que des facultés physiques et mentales dont il dispose. A l’issue de la procédure d’instruction complémentaire, il appartiendra à l’intimé de rendre une nouvelle décision sur le droit à la rente du recourant.
3 Cas dans lequel le TFA a jugé que les conclusions du rapport des médecins de l’AI devaient l’emporter sur les appréciations émises par les médecins traitants de l’assuré (Arrêt du TFA du 16 janvier 2004, I 649/03)
Extrait des considérants en droit
5.2 En l’espèce, en raison des avis divergents émis surtout par les docteurs E. et A. (le premier, médecin traitant de l’assurée, a conclu à une incapacité de travail totale [rapport du 27 mai 2000], alors que le second est d’avis que l’assurée peut travailler à 50% au moins dans une activité de type sédentaire [rapport du 26 janvier 2001]), l’administration a mandaté le SMR pour que trois de ses médecins examinent l’assurée, le 13 mai 2002. Ces derniers ont retenu les diagnostics de trouble somatoforme douloureux chronique persistant, spondylodiscarthrose stable et modérée, arthrose de la première articulation du mem-
bre inférieur gauche, nodules d’Heberden des doigts, chondropathie rotulienne, ostéopénie et status après whiplash non déficitaire en 1998. Après avoir soumis les points déterminants à une étude fouillée, le médecin généraliste, le rhumatologue et le psychiatre sont parvenus à la conclusion qu’au vu de l’ensemble des affections précitées, réputées discrètes, une capacité de travail entière était encore exigible de la part de l’assurée.
Pour rendre leurs conclusions, les trois spécialistes ont effectué divers examens (général, psychiatrique, ostéoarticulaire), ont pris en considération toutes les plaintes émises par l’assurée et ont acquis une pleine connaissance de l’anamnèse (familiale, personnelle, professionnelle,
par système, psychosociale et psychiatrique, ostéoarticulaire), ainsi que du dossier radiologique.
5.3 Cela étant, les autres appréciations médicales ne sont pas de nature à remettre en question les conclusions du rapport du SMR. En effet, le rapport du docteur F., spécialiste en médecine interne et rhumatologie, du 18 janvier 1999, ne contient aucune indication au sujet de l’évaluation de la capacité de travail. Il ne fait que mettre en évidence une «importante discordance entre l’importance des plaintes et les constatations objectives» et mentionner l’utilité d’une évaluation pluridisciplinaire dans le but de clarifier cette incohérence. Quant aux certificats du docteur E., rédigés les 21 août 1999, 27 mai 2000 et 1er juin 2002, bien que faisant état d’une aggravation de l’état de santé sur le plan physique et psychique, ils sont dépourvus de toute motivation. Enfin, il y a lieu de relever que l’avis du docteur A., du 26 janvier 2001, n’est pas non plus de nature à remettre en question le rapport d’examen du SMR; en effet, même si le praticien prénommé évalue la capacité de travail à au moins 50% dans une activité de type sédentaire, il n’en demeure pas moins qu’il souligne lui aussi la discordance entre les plaintes avancées et les trouvailles objectives. En outre, il s’agit de l’avis d’un seul médecin, alors que le rapport du SMR est le fruit d’une discussion détaillée et récente de trois spécialistes.
5.4 Par conséquent, en l’absence d’élément permettant de mettre en doute les conclusions du SMR, et dans la mesure où ce dernier rapport répond à toutes les exigences jurisprudentielles en la matière (voir consid. 5.1), il y a lieu de lui reconnaître pleine valeur probante.
4 Cas dans lequel le TFA a jugé que les premiers juges pouvaient s’écarter d’une expertise pluridisciplinaire, mais à la
condition, pour décider de l’octroi d’une rente entière, de procéder à de plus amples investigations (Arrêt du TFA du 14 novembre 2003 I 776/02)
Extrait des considérants en droit
3. La juridiction cantonale de recours a considéré que les experts n’avaient pas répondu à toutes les questions posées et que certaines de leurs réponses étaient contradictoires. Elle en a déduit que le rapport d’expertise ne remplissait pas les réquisits jurisprudentiels et qu’il n’avait dès lors pas de valeur probante. Néanmoins, le Tribunal des assurances a admis qu’il pouvait juger l’affaire à la lumière des éléments concordants du dossier: l’assurée souffre de fibromyalgie, elle est totalement incapable de travailler depuis le mois d’avril 1997, elle souffre de troubles dépressifs récurrents, l’évolution est défavorable et face à un tel tableau clinique, l’incapacité de travail est durable et il n’y a pas d’activité adaptée; en outre, l’assurée déplore une perte d’intégration sociale, il n’y a pas de discordance entre les éléments objectivables et ses plaintes, elle ne simule pas, ne tire aucun profit de sa maladie et tous les traitements conformes aux règles de l’art ont échoué. En ce qui concerne le caractère exigible de la reprise d’une activité lucrative, les premiers juges ont estimé que le cumul des critères précités fonde un pronostic négatif, de sorte que l’atteinte à la santé est, en l’occurrence, entièrement invalidante.
Le recourant soutient que le rapport des docteurs B. et D. conforte sa décision litigieuse, car il n’existe pas d’atteinte à la santé invalidante. En effet, les experts attestent que l’intimée ne présente aucune pathologie psychiatrique grave et que le problème est totalement socioculturel, secondairement financier. A son avis, les conclusions des experts sont claires et le rapport d’expertise a pleine valeur probante.
L’OFAS partage ce point de vue et estime que l’intimée est entièrement capable de travailler.
Cette dernière soutient la thèse inverse et allègue que l’expertise ne remplit pas les réquisits jurisprudentiels. Singulièrement, l’intimée fait grief aux
experts de n’avoir abordé que très sommairement la nature et l’intensité de ses troubles de l’humeur et elle exprime ses doutes quant au diagnostic de trouble dépressif récurrent qui a été posé. A son avis, l’existence d’un trouble dépressif majeur, invalidant, paraît beaucoup plus probable.
4.4.1 Dans son rapport du
17 juillet 2000, la doctoresse A. a fait état de fibromyalgie, de rachialgies diffuses dans le cadre de troubles statiques avec hyperlaxité axiale, d’ostéome condensant du corps vertébral de L2 et de trouble dépressif et anxieux récurrent. Elle a relevé que la patiente était isolée socialement et en proie à d’importantes difficultés financières. Sur la base de ces éléments, la doctoresse A. a estimé que la capacité de travail exigible était nulle et cela dans n’importe quelle activité.
Eu égard à ce diagnostic et aux conclusions de la doctoresse A., il ne fait guère de doute qu’une expertise psychiatrique était en l’occurrence nécessaire pour se prononcer sur le caractère invalidant des affections psychiques de la recourante.
4.2 Cet examen psychiatrique a été mené par les docteurs B. et D. Dans leur rapport du 7 janvier 2002, les experts ont imputé les troubles psychiques de l’assurée essentiellement aux difficultés socioculturelles qu’elle a rencontrées en Suisse. Ils ont cependant précisé qu’il est difficile d’établir une incapacité de travail de longue durée pour un trouble dépressif récurrent, surtout lorsqu’il est de degré faible à moyen, et qu’il n’est pas nécessairement justifié d’admettre une incapacité de travail pour un syndrome de fibromyalgie pris isolément.
Vu ce qui précède, on pourrait se demander si les experts ne reconnaissent pas, en définitive, que l’incapacité totale de travailler en raison d’affections d’ordre psychique n’a pas de fondement médical. Quoi qu’il en soit, leur appréciation de l’exigibilité de la reprise du travail est contradictoire dans la mesure où ils admettent que l’intimée peut travailler à 100% d’un point de vue strictement médical, tout en indiquant (dans la même phrase) qu’elle ne retravaillera pas, parce qu’elle ne le peut pas (rapport, p. 14). Enfin, les experts se sont prononcés sur une question de droit, en indiquant que «sur le fond, en fonction des définitions actuelles de la maladie et de l’invalidité, l’AI a raison» (p. 12 du rapport), ce qui n’était pas de leur ressort.
Quant au docteur E., qui relève également les contradictions de l’expertise, il a attesté que la recourante souffre d’un trouble somatoforme, qu’il assimile à la fibromyalgie, sans comorbidité psychiatrique grave. Il a observé que les experts B. et D. en avaient apprécié le caractère invalidant au regard de critères que Mosimann n’avait pas retenus dans son étude qui est résumée dans la VSI 2000 p. 155 consid. 2c (rapport du 22 février 2002).
Dans ces conditions, on doit admettre que l’expertise des docteurs B. et D. n’est pas probante, de sorte que les premiers juges étaient fondés à s’en écarter.
5 Cas dans lequel le TFA a dénié toute valeur probante à l’expertise réalisée par le neurologue, mais a reconnu comme convaincante l’expertise du psychiatre (Arrêt du TFA du 2 février 2004 U 155/03)
Extrait des considérants en droit
3.2.1 Dans son rapport d’expertise du 13 décembre 2000, le docteur G. conclut à un syndrome fibromyalgique et à des séquelles douloureuses chroniques après coup du lapin. Selon lui, à partir du 15 août 1999, ces troubles sont en relation de causalité probable, mais dans une mesure partielle, avec l’accident; l’état maladif et le syndrome fibromyalgique influencent la guérison dans une mesure de deux tiers. La patiente est totalement incapable de travailler, en raison du syndrome fibromyalgique; cependant, seul un tiers de la symptomatologie présentée par l’assurée peut être admis comme étant d’origine traumatique.
On ne saurait accorder pleine valeur probante à cette expertise au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus. D’une part, le diagnostic de syndrome fibromyalgique n’est absolument pas documenté; en particulier, le médecin n’explique pas quels critères lui permettent de retenir une telle affection. D’autre part, on comprend mal la référence faite à la classification des maladies selon le DSM-IV, dès lors que la fibromyalgie ne figure pas au nombre de celles répertoriées dans ladite classification.
Ensuite, surtout, la manière dont l’expert tente de démontrer l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’événement assuré et le syndrome fibromyalgique manque singulièrement de clarté et n’apparaît pas probante. En effet, l’existence d’un tel lien n’est pas admise sur la base des circonstances propres au cas d’espèce, mais sur la base de certaines études – au demeurant non mentionnées – qui tendraient à démontrer la probabilité d’un tel lien de manière générale et «d’autres pratiques médicales dans d’autres contextes». En outre, la qualification du lien de causalité naturelle semble pour le moins aléatoire: il est fait usage des adjectifs probable, certain, très probable, partiel, mineur et de l’expression «fixé arbitrairement». (…)