Assurance-Maladie
Dépistage du cancer du sein: discriminatoire?
La réglementation en vigueur depuis le 1er juillet 1999 oblige les assureurs-maladie à prendre en charge la mammographie de dépistage à certaines conditions restrictives tenant à l'âge, à la fréquence de l'examen et à l'existence d'un programme de dépistage.
Faits (résumé):
X, née en avril 1936, est affiliée à la Y Assurance au titre de l'assurance obligatoire des soins et des assurances complémentaires.
En date du 17 mai 2002, elle a subi une mammographie prescrite par son gynécologue. Par décision du 3 février 2003, Y refuse la prise en charge de cette mammographie par l'assurance obligatoire des soins. Elle l'admet, en revanche, par l'assurance complémentaire, cette prise en charge ayant pour conséquence la perte du rabais «pour absence de prestation».
Saisi d'une opposition déposée par l'assurée, assistée par l'assurée, l'assureur-maladie la rejette le 7 mars 2003. Il estime que la mammographie de dépistage ne doit être à la charge de l'assurance obligatoire qu'à la condition qu'il existe dans le canton un tel programme en matière de prévention du cancer du sein.
Contre cette décision, X interjette recours de droit administratif auprès de l'Instance de céans en date du 4 avril 2003. Elle conclut à la prise en charge de la mammographie par l'assurance obligatoire. [...]
Extrait des considérants:
1. [...]
2.a) D'après l'art. 26 de la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie (LAMal; RS 832.10), l'assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts de certains examens destinés à détecter à temps les maladies ainsi que des mesures préventives en faveur d'assurés particulièrement menacés. Ces examens ou mesures préventives sont effectués ou prescrits par un médecin.
Selon l'art. 33 al. 2 LAMal, il appartient au Conseil fédéral de désigner en détail les prestations notamment prévues à l'art. 26 LAMal. A l'art. 33 let. d OAMal, le Conseil fédéral, comme le permet l'art. 33 al. 5 LAMal, a délégué à son tour cette compétence au Département fédéral de l'intérieur (DFI). Le DFI a fait usage de cette sous-délégation à l'art. 12 de l'ordonnance du
29 septembre 1995 sur les prestations dans l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS; RS 832.112.31).
Ainsi, l'art. 12 OPAS, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, énumère les mesures médicales de prévention prises en charge, en plus des mesures diagnostiques et thérapeutiques. L'art. 12 let. o ch. 1 prescrit la prise en charge de la «mammographie diagnostique: en cas de cancer de la mère, de la fille, ou de la sœur. Fréquence selon l'évaluation clinique, jusqu'à un examen préventif par année. Un entretien explicatif et de conseils doit être mené avant la première mammographie; il est consigné. L'examen doit être effectué par un médecin spécialisé en radiologie. Les appareils utilisés doivent être conformes aux lignes directrices de l'UE de 1996 (European Guidelines for quality assurance in mammography screening, 2nd edition)». Quant à l'art. 12 let. o ch. 2 OPAS, il prévoit la prise en charge d'une «mammographie de dépistage: dès 50 ans, tous les deux ans. Dans le cadre d'un programme organisé de dépistage du cancer du sein qui remplit les conditions fixées par l'ordonnance du
23 juin 1999 sur la garantie de la qualité des programmes de dépistage du cancer du sein par mammographie. Aucune franchise n'est prélevée pour cette prestation. La réglementation selon le ch. 2 est valable jusqu'au 31 décembre 2007».
b) [...]
3. Est litigieuse, en l'espèce, la prise en charge par l'assureur-maladie de la mammographie pratiquée le 17 mai 2002.
Il ressort du dossier médical que cette mammographie ne doit pas être considérée comme une «mammographie diagnostique», mais bien comme une «mammographie de dépistage» au sens de l'art. 12 let. o ch. 2 OPAS.
La caisse-maladie est d'avis que la prise en charge de la mammographie de dépistage dépend notamment de son déroulement dans le cadre d'un programme organisé de dépistage du cancer du sein. La recourante soutient, quant à elle, que les seules conditions posées pour ladite prise en charge sont celles de l'âge (50 ans) et celle de la périodicité (tous les deux ans); la condition relative au programme organisé n'ayant une portée que pour ce qui concerne le prélèvement de la franchise. La Cour de céans ne saurait suivre cette dernière interprétation. En effet, il ressort des procès-verbaux de la Commission fédérale des prestations (séances du 17 avril 1997 et du 2 février 1999) que le but visé par cette disposition est bien, par le biais de cette mammographie de dépistage, de diminuer sensiblement la mortalité due au cancer du sein. Cet objectif ne saurait toutefois être atteint sans un encadrement adéquat répondant à des conditions strictes, c'est au demeurant ce à quoi doit répondre la mise en place d'un programme de dépistage du cancer du sein (cf. ordonnance fédérale du 23 juin 1999 sur la qualité des programmes de dépistage du cancer du sein réalisé par mammographie; RS 832.102.4). Ainsi, un entretien explicatif et de conseils doit être mené afin de pouvoir exposer à la patiente l'efficacité et les limites d'un tel examen. Le programme est en outre limité dans le temps, soit au 31 décembre 2007, afin de pouvoir en mesurer la portée après quelques années.
Il y a lieu en outre de signaler que la commission a notamment discuté de l'éventualité de ne faire débuter le remboursement du dépistage que lorsqu'un taux de 60% de participation aurait été atteint, la réussite du programme dépendant notamment d'une large participation. S'agissant de la problématique de l'égalité de traitement entre les différents cantons, la commission a soulevé la question de l'application de l'art. 41 LAMal.
Au vu de ce qui précède et dans la mesure où le canton de Fribourg ne mène aucun programme de dépistage du cancer du sein au sens de l'ordonnance fédérale, c'est à juste titre que l'autorité intimée a refusé de prendre en charge la mammographie litigieuse dans le cadre de l'assurance sociale obligatoire.
[...]
Arrêt (entré en force) du 18 décembre 2003 dans la cause X contre Y Assurance. Cour des assurances sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg (SVR 10/2004, 64).
Commentaire
A priori, l'arrêt du tribunal cantonal fribourgeois est convaincant. L'assurée, bien qu'âgée de 66 ans au moment des faits, n'a pas effectué la mammographie dans un centre de dépistage prévu dans l'OPAS, son canton n'étant pas doté d'un tel centre au moment des faits. Dès lors, l'assureur-maladie n'a aucune obligation de prise en charge. Les juges cantonaux fondent leur position sur les restrictions qui figurent dans l'OPAS et sur les principes contenus dans l'Ordonnance sur la qualité des programmes de dépistage.
Cet arrêt mérite commentaires et réflexions à plus d'un titre. D'une part, il clarifie la situation, car bon nombre de commentaires relatifs à la prévention du cancer du sein sont encore entachés d'imprécisions, voire d'erreurs, dans la mesure où ils établissent une obligation «partielle» des caisses-maladie si le dépistage est effectué dans un canton qui n'a pas adopté un tel programme. D'autre part, il suscite d'intéressantes considérations relatives à l'égalité de traitement.
Brève chronologie de la réglementation
Il a fallu plus de trois ans après l'entrée en vigueur de la LAMal pour que le principe d'une prise en charge de la mammographie de dépistage soit inscrit dans l'OPAS. Initiées en 1997 déjà, les discussions dans le cadre de la Commission fédérale des prestations ont clairement établi le lien entre la garantie de qualité et l'obligation de remboursement des assureurs. Conformément à l'article 77, alinéa 1 OAMal, la garantie de la qualité aurait dû, comme pour d'autres prestations LAMal, faire l'objet de dispositions spécifiques d'une convention tarifaire ou d'une convention particulière. Les négociations ayant échoué entre les partenaires concernés, le Conseil fédéral a fait usage de sa compétence (article 77, alinéa 3 OAMal) et a édicté une ordonnance spécifique (largement fondée sur des directives européennes) qui définit le cadre dans lequel doivent opérer les cantons, les conditions imposées aux organisations et aux médecins qui pratiquent le dépistage, les mesures de contrôle et d'évaluation de la qualité, ainsi que la procédure à respecter envers les assurées (convocation, entretien explicatifs et conseils, communication des résultats).
En mars 2000, les travaux de mise sur pied d'un programme national de dépistage systématique par mammographie ont été suspendus, faute d'accord sur les aspects financiers. Entamés dès 1993 dans le cadre de projets pilotes (VD), les programmes de dépistage ont connu un essor dans les seuls cantons romands: programmes en cours (VD, GE, VS, FR, dès 2004) ou à l'état de projet avancé (JU, NE). Dès le 1er janvier 2001, la mammographie de dépistage a été exonérée de la franchise, la participation aux frais (10%) restant à charge de l'assurée.
Entrée en vigueur le 1er janvier 2004, la structure tarifaire TARMED s'est imposée, dans ce
domaine également. La position relative à la mammographie de dépistage est liée à l'existence d'un programme.
Problèmes relatifs du système en vigueur
A l'heure actuelle donc, seules les femmes domiciliées dans les cantons dotés d'un programme de
dépistage peuvent bénéficier de la prise en charge de l'examen préventif par l'assurance-maladie obligatoire. Et c'est la minorité des femmes en Suisse... Inégalité de traitement entre cantons? La Commission fédérale pour les prestations a purement et simplement évacué la question, en se fondant sur l'article 41 LAMal. S'agissant des traitements ambulatoires, cette disposition détermine le tarif applicable si l'assuré-e se rend chez un prestataire de soins qui ne se trouve pas à son «lieu de résidence ou de travail [...] ou dans les environs». Une femme domiciliée dans un canton qui n'est pas doté d'un programme peut-elle dès lors exiger, de son assurance, la prise en charge d'une mammographie (incluant les autres prestations prévues par l'ordonnance fédérale, telles que l'entretien préalable et les conseils) qui serait réalisée dans un canton doté d'une telle structure?
A priori, il serait tentant de faire une analogie avec certaines dispositions de l'OPAS, qui conditionnent le remboursement de la prestation au lieu où elle est effectuée (certains hôpitaux universitaires pour les transplantations, p.ex.). Mais cette analogie n'est pas pertinente. D'une part, elle concerne des prestations hospitalières, pour lesquelles la LAMal pose des conditions précises: indication médicale, parts respectives de l'assurance-maladie et du canton de domicile. D'autre part, elle laisse subsister des problèmes qui découlent, eux, de l'Ordonnance sur la garantie de la qualité des programmes de dépistage. Les cantons sont en effet tenus d'adresser une invitation écrite aux femmes de plus de 50 ans (puis d'assurer le suivi, incluant notamment les statistiques cantonales). Une telle obligation peut-elle s'étendre aux personnes domiciliées dans un autre canton? Et si tel devait être le cas, ne serait-ce pas une incitation à l'«inaction» pour les cantons qui ne sont pas engagés, pour l'heure, dans la voie du programme de dépistage?
Certes, le médecin traitant peut toujours indiquer, à l'assurance, que la mammographie effectuée n'était pas un examen de dépistage, mais bien une «mammographie diagnostique», contraignant l'assureur-maladie à verser ses prestations selon l'article 12, lettre o, chiffre 1 de l'OPAS... Dans la
mesure où elle s'inscrit dans une démarche de prévention, la «manœuvre» est certes louable. Mais elle ne saurait constituer un correctif acceptable des inégalités qui touchent, actuellement, les femmes âgées de plus de 50 ans dans le registre sensible et important de la prévention du cancer du sein.