Le nouveau droit de l’entretien entré en vigueur le 1er janvier 2017 n’impose pas une méthode de calcul des contributions d’entretien. Dans ce contexte, les praticiens et les tribunaux ont attendu et attendent encore avec impatience les jurisprudences qui aideront à définir la portée des nouvelles normes et à homogénéiser les pratiques.
L’arrêt du 21 septembre 2018, 5A_384/2018 pose les premières bases de l’exigibilité d’une activité lucrative du parent prenant en charge l’enfant et des relations entre la contribution de prise en charge et l’entretien de l’ex-conjoint.
1. Rappel de la jurisprudence du 17 mai 2018 (TF 5A_454/2017)
Il faut rappeler que le Tribunal fédéral avait apporté une première précision importante sur la méthode de calcul de la contribution de prise en charge instaurée par le nouveau droit dans son arrêt 5A_454/2017 du 17 mai 2018. La méthode dite des «frais de subsistance» a ainsi été arrêtée comme méthode de calcul de la contribution de prise en charge (c. 7).
Ledit arrêt donnait déjà les prémices de la remise en question de la jurisprudence dite des «10/16 ans», en conformité avec le Message du Conseil fédéral relatif à la réforme du droit de l’entretien de l’enfant1, citant quelques pratiques cantonales2 et la doctrine3, mais ne tranchant pas la question sur le fond (c. 6.1.2.2).
Par son arrêt du 21 septembre 2018, 5A_384/2018, le TF amène ainsi des clarifications sur la reprise de l’activité lucrative du parent prenant en charge l’enfant et fixe des lignes directrices en la matière.
2. Principes établis par l’arrêt du 21 septembre 2018, 5A_384/2018
2.1 Relations avec les autres composantes de l’entretien
Le TF rappelle l’ordre de priorité des différents éléments de la contribution d’entretien. Ainsi, si les ressources sont insuffisantes, la contribution pécuniaire couvrant les besoins primaires de l’enfant est prioritaire, suivie de la contribution de prise en charge, laquelle couvre les besoins indirects de l’enfant (application par analogie de l’art. 276a al.1 CC), puis la contribution d’entretien au conjoint/à l’ex-conjoint (art. 125 et 163 CC) (c. 4.2. et 4.3).
2.2 Principe de continuité
La première composante importante rappelée par le TF et reprenant les jurisprudences antérieures au nouveau droit est le principe de continuité. Le choix des parents prévalant avant la séparation reste ainsi déterminant, et la présomption veut que celui-ci soit considéré comme allant dans l’intérêt de l’enfant. Le choix de la répartition des rôles durant la vie commune est donc déterminant. Ce principe s’applique stricto sensu à la question de la contribution de prise en charge (c. 4.4. et 4.5)4.
Le TF relève ainsi qu’il est difficilement imaginable que le Tribunal puisse juger à la place des parents de la meilleure solution de prise en charge pour l’enfant et dans l’intérêt de ce dernier, par exemple en imposant à un parent de prendre en charge personnellement son enfant, alors qu’il ne le faisait pas jusque-là (c. 4.5., 2e §).
Cependant, on y reviendra, le Tribunal va ensuite clairement estimer qu’il lui est en revanche possible d’imposer la reprise d’une activité lucrative au parent en charge de l’enfant personnellement, allant ainsi en totale contradiction avec la réflexion susmentionnée.
2.3 Principe d’égalité entre la prise en charge par un parent ou par un tiers
En deuxième lieu, le TF apporte les premières précisions quant à l’exigibilité d’une activité lucrative du parent prenant en charge les enfants.
A ce titre, il établit le principe d’égalité entre la prise en charge par un parent ou par un tiers. Notre Haute Cour ne manque pas de rappeler que ce principe est à relativiser en fonction des disponibilités effectives des structures d’accueil pour les enfants (c. 4.6.3 et 4.7).
Cependant, ce nouveau principe pose des questions de société évidentes et à la portée beaucoup plus importante qu’il n’y paraît au premier abord, qu’il conviendra d’analyser.
2.4 Maintien du modèle des délais de transition
En continuité des jurisprudences passées5, la reprise d’une activité lucrative par le parent en charge de l’enfant ne peut en principe pas être exigée avec effet immédiat. La séparation est synonyme de rupture pour l’enfant dans son quotidien, qui doit en premier être assimilée. Le bien de l’enfant commande par conséquent que le changement induit par la reprise d’une activité lucrative du parent qui en a la charge ne soit pas simultané à la séparation. Ainsi, un délai de transition aussi généreux que possible doit être accordé, lequel dépend du pourcentage de reprise de l’activité lucrative, de la marge de manœuvre financière des parents et de toutes autres circonstances concrètes du cas d’espèce (c. 4.6).
2.5 Modèle dit des «degrés de scolarité»
Le TF décide enfin de se baser sur l’âge de scolarisation de l’enfant comme élément de principe d’une reprise d’activité lucrative du parent prenant en charge l’enfant, confirmant ainsi un modèle appliqué depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi dans plusieurs cantons6, à savoir le modèle dit des «degrés de scolarité».
A la base de ce nouveau principe, se trouve l’idée selon laquelle la scolarisation de l’enfant libère progressivement le parent d’une partie de la prise en charge de l’enfant et constitue ainsi un critère approprié pour fixer de nouveaux paliers dans l’exigibilité d’une activité lucrative.
Le TF fixe ainsi les paliers à une reprise d’activité lucrative à 50% dès le début de la scolarité obligatoire du plus jeune enfant, puis à 80% dès l’entrée à l’école secondaire dudit enfant et à plein temps dès l’âge de 16 ans (c. 4.7.6).
Dans son arrêt, il rappelle immédiatement le fait que l’application de ces paliers à un cas d’espèce devra être vérifiée par le Tribunal de première instance, que ce soit vers le bas, par exemple par le placement en crèche de l’enfant avant l’âge de la scolarité obligatoire (c. 4.7.8) ou vers le haut, par exemple pour des enfants à besoins particuliers (c. 4.7.9).
2.6 Considérations économiques
Cependant, un élément supplémentaire est également analysé par le TF qui, bien que passant presque inaperçu, révèle les fondements de la réflexion de fond menée par la Haute Cour.
Premièrement, le TF se penche sur le but de la nouvelle loi à la lumière de considérations économiques. Ainsi, pour lui, la réalité sociétale d’aujourd’hui est, pour la plupart des couples de parents faisant ménage commun, le travail des deux parents. Il déduit de cette constatation qu’il n’y a pas de raison pour qu’il en soit autrement dans le cas d’un couple séparé, ce d’autant plus que la séparation entraîne des coûts plus élevés (c. 4.7.7).
Ce faisant, il s’éloigne de la question de l’intérêt de l’enfant pour se baser sur l’intérêt économique de la famille et de la société.
2.7 Application des nouvelles lignes directrices à l’entretien entre ex-conjoints
L’entretien dû à un conjoint ou à un ex-conjoint doit suivre les mêmes lignes directrices que celles posées pour la contribution de prise en charge. Le TF appuie sa réflexion sur la diminution du rôle du mariage en tant que «institut de prévoyance», du fait du haut taux de divorces, mais également du fait que les parents choisissent de plus en plus souvent d’exercer tous les deux une activité lucrative et de confier leur enfant à la surveillance de tiers (c. 4.8.2).
3. But de la modification de la loi
Le but de la modification du droit de l’entretien par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi au 1er janvier 2017 était la mise sur pied d’égalité de l’entretien de l’enfant de parents mariés et de parents non-mariés, et ainsi la garantie d’une meilleure prise en charge de l’enfant quel que soit le statut de ses parents7.
L’introduction de l’article 285, alinéa 2 CC, a ainsi consacré un nouveau concept juridique, la contribution de prise en charge, faisant partie intégrante de la contribution d’entretien à l’enfant. Le but de ladite contribution de prise en charge est, selon le texte de la loi, de «garantir la prise en charge de l’enfant par les parents et les tiers».
La doctrine et le législateur sont presque unanimes sur la nécessité de revoir la règle dite des «10/16 ans» à la lumière de la nouvelle loi (c. 4.6.1)8.
Le TF rappelle que ladite règle s’est développée à l’appui du principe du clean break, dans le cadre de la procédure de divorce. Ce principe s’est développé dans le cadre de la communauté maritale et de la solidarité entre époux et ex-époux9. La confiance en la communauté du mariage et la répartition des rôles ainsi décidée étaient à la base de cette pratique (c. 4.6.2)10. Celle-ci ne peut donc pas être appliquée aux couples non-mariés.
4. Analyse par le TF: quelle prise en charge dans l’intérêt de l’enfant?
Notre Haute Cour estime que la question la plus difficile est celle de savoir quelle est la prise en charge idéale pour «un enfant en bonne santé et normalement développé» (c. 4.7.1).
Elle rappelle que le choix unilatéral par l’un des parents du mode de prise en charge est exclu, ce d’autant plus que ledit choix découle de l’autorité parentale, laquelle reste, de principe, conjointe selon l’article 296 alinéa 2 CC.
Dans un tour de force, le TF rappelle que seul l’intérêt de l’enfant dans le cas concret est déterminant, mais estime ensuite que des lignes directrices relatives au «cas normal» sont cependant nécessaires au traitement juridique de telles situations (c. 4.7.1).
Il choisit ainsi de fixer des lignes directrices de base sur le modèle des «degrés de scolarité».
Pour ce faire, il part du principe que le parent gardien se voit dispenser de la prise en charge personnelle de l’enfant de manière significative avec l’entrée à l’école de l’enfant. Ne disposant pas d’autre critère objectivé, il décide de retenir ce modèle comme point de départ de l’établissement d’une règle de base. Cette prise en charge par l’Etat, à travers la scolarisation, s’étendant peu à peu, permet une reprise progressive de l’activité lucrative du parent gardien (c. 4.7.6 et 4.7.8).
Le TF s’empresse cependant de rappeler qu’il s’agirait d’un point de départ pour la fixation d’une ligne directrice et qu’une prise en charge antérieure à l’âge scolaire par des tiers pourrait également être prise en considération, ce en fonction des disponibilités concrètes de telles places d’accueil (c. 4.7.7 et 4.7.8).
5. Considérations économiques
Revenant sur ses propres considérations, le TF estime que la prise en compte des intérêts économiques n’entre pas en contradiction avec les réflexions relatives à l’intérêt de l’enfant. Les parents auraient l’obligation, ensemble, de couvrir les besoins de l’enfant en application de l’article 276 alinéa 1 CC. Ils doivent donc non pas uniquement s’en occuper, mais également fournir à celui-ci les moyens financiers nécessaires. Selon le TF, émarger à l’aide sociale ou à la frontière du minimum vital de manière durable ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant (c. 4.7.7).
Cette considération du TF effraie par la direction soudaine et unilatérale qu’elle prend. L’ensemble des réflexions relatives au bien de l’enfant se voit ainsi soudainement mis dans l’ombre par l’idée selon laquelle le bien de l’enfant serait pris en considération par les avantages économiques de l’activité professionnelle des deux parents plutôt que par leur présence effective.
Le TF estime qu’aujourd’hui, alors que, également pour les couples en ménage commun, la plupart des parents travaillent tous les deux, au moins à temps partiel, il ne paraît pas opportun qu’il en aille différemment des couples séparés, ce d’autant plus que la vie séparée augmente les coûts de la famille (c. 4.7.7)
Cette analyse économique paraît hautement réductrice et ne correspond en aucun cas à une analyse globale et concrète de la situation personnelle de chaque enfant et dans l’intérêt de ce dernier.
6.Relativisation des nouvelles lignes directrices
Selon le TF, il «peut» être dérogé à la règle ainsi définie par cette nouvelle jurisprudence au cas par cas en application du pouvoir d’appréciation et en fonction du cas d’espèce (c. 4.7.9).
Comme critère de relativisation de la règle des «degrés de scolarisation», le TF cite par exemple le fait que, en présence de quatre enfants, certaines tâches de parentalité s’en trouvent augmentées et ne permettent pas une reprise d’activité selon ladite règle. Il cite également le cas du handicap d’un enfant (c. 4.7.9).
Les exemples cités font clairement craindre une certaine rigueur dans l’application de la nouvelle règle des «degrés de scolarité» par le TF.
En effet, premièrement, le Tribunal estime uniquement que le juge «peut» et non «doit» s’écarter de la règle en cas de situation particulière du cas d’espèce. Mais, deuxièmement, celui-ci cite des exemples de situations extrêmes, ce alors même qu’il avait lui-même indiqué que la règle posée ne s’appliquerait qu’aux «cas normaux» (c. 4.7.1 dernière phrase).
Il faut donc s’attendre à une application stricte de la règle des «degrés de scolarité» par les juges et une systématisation des solutions retenues dans les cas de séparation.
Une telle direction perd de vue l’intérêt de l’enfant et la prise en compte de chaque situation particulière.
A ce titre, il faut rappeler que la règle des «10/16 ans» prévalant jusqu’à ce jour était appliquée avec un schématisme presque aveugle par les Tribunaux de première, de deuxième et de dernière instance11.
Ainsi, la nouvelle règle devrait l’être de même, ce au détriment de l’analyse des situations particulières et de l’intérêt de l’enfant.
7. Une conception moderne de la famille
Si la remise en question de la règle des «10/16 ans» n’est en soi pas une surprise et se justifiait, le Conseil fédéral, la doctrine et enfin le TF appuient ce remaniement sur la nécessité d’une conception plus moderne de la famille12.
Selon cette conception, les deux parents devraient exercer une activité lucrative, dès que possible et à un pourcentage aussi haut que possible. En outre, la prise en charge par l’un des parents serait à mettre sur un pied d’égalité total avec la prise en charge par des tiers.
Il n’est pas certain que cette conception défendue par le TF corresponde à l’avis majoritaire des parents à ce jour. Il n’est surtout pas certain que cette conception corresponde à une vision moderne de la famille selon les mères, alors même que celles-ci représentent encore, dans l’écrasante majorité des cas, le parent en charge de l’enfant.
En outre, le TF décide de donner une très lourde importance à l’aspect économique dans le cadre de l’évaluation du bien de l’enfant. Là aussi, il s’agit d’une conception non objective, qui ne peut pas être établie comme règle sans autre forme de réflexion.
La modernité de la cellule familiale, en ménage commun, séparée, recomposée ou quelle que soit sa forme, est peut-être plutôt une redéfinition des tâches de chacun, un partage de la prise en charge et surtout une compréhension du fait que «prendre en charge» un enfant ne signifie pas uniquement un pourcentage et un chiffre, mais bien au-delà une charge organisationnelle, personnelle et psychique importante.
A aucun moment, le TF ne fait référence au partage des responsabilités: le concept de charge mentale nouvellement nommé ainsi est, pourtant, aujourd’hui au centre de discussions essentielles sur la définition de la prise en charge de l’enfant.
A titre d’exemple, le parent en charge de l’enfant qui doit organiser seul l’ensemble du quotidien de l’enfant (scolarité, activités extrascolaires, prise en charge par les tiers, suivi scolaire et médical, mais également relations personnelles avec l’autre parent) n’est en rien dans une situation semblable à celui/à celle qui partage lesdites responsabilités avec le second parent, cela en toute indépendance du temps passé par chacun des parents avec l’enfant.
Le TF n’aborde également à aucun égard la question de la prise en charge partielle de l’enfant par l’autre parent. Il s’agit pourtant, bien évidemment, d’un des éléments les plus essentiels à l’appréciation de chaque cas d’espèce.
Enfin, le TF omet de prendre en considération que la situation d’un parent s’occupant seul de l’enfant est bien différente de celle de deux parents en ménage commun, se partageant les charges et l’organisation du quotidien de l’enfant. Comparer simplement les couples vivant en ménage commun à ceux vivant séparément paraît une méconnaissance crasse de ce que signifie prendre en charge un enfant, pour le remplacer par une réflexion purement théorique et non ancrée dans la réalité des familles.
Cette conception théorique omet également de prendre en considération les besoins particuliers des enfants dans des situations de séparation de leurs parents, par essence même dans une situation conflictuelle et de remise en question de repères essentiels.
Quant à la réflexion à peine cachée du TF selon laquelle la priorité devrait être, pour le parent en charge de l’enfant, de réussir à sortir de l’appui de l’aide sociale ou d’émarger au-delà du minimum vital, celle-ci est presque désobligeante.
Les séparations sont causes de pauvreté, et ce constat n’est pas remis en question13.
Cependant, ériger le combat contre cette cause de pauvreté comme une priorité absolue pour le parent en charge de l’enfant revient à lui faire porter le fardeau de cette réalité sociétale, sans autre analyse.
C’est également assumer le fait que les conditions matérielles autour de l’enfant sont plus importantes que les conditions de soins, d’attention et d’éducation apportées par le parent gardien.
L’analyse faite par le TF à cet égard, c’est-à-dire une unique référence aux statistiques nationales d’occupation des parents par une activité lucrative, est crassement lacunaire.
Le fait que la paupérisation des familles aux revenus inférieurs ne cesse de croître et l’obligation pour les parents d’envisager une reprise d’emploi plus rapidement ne signifient pas forcément que ce choix corresponde à l’intérêt de l’enfant.
A titre d’exemple, le suivi de la scolarité a une influence énorme sur l’avenir de l’enfant. Celui-ci ne peut que difficilement être assuré par un parent gardien qui devrait reprendre une activité lucrative importante, par exemple dans un domaine d’activité professionnelle aux horaires irréguliers ou un travail physiquement fatiguant.
Les juges semblent ainsi plutôt prendre en considération les intérêts de l’Etat à diminuer les dépenses d’aide sociale que l’intérêt personnel de l’enfant. Cependant, même cette considération semble un peu sommaire, puisqu’un enfant qui développera ensuite de plus importants troubles de comportement, qui décrochera au niveau scolaire ou qui n’aura pas le soin auquel il aurait dû avoir besoin, coûtera également à la société dans un deuxième temps.
La nouvelle direction prise par le TF tend à dévaloriser le rôle parental. Elle risque concrètement de creuser les inégalités entre enfants issus de famille à bas revenus et ceux issus de famille à revenus confortables. Ainsi, le but de la nouvelle loi, à savoir diminuer les inégalités entre enfants, se trouve complètement vidé de son sens, en créant de nouvelles inégalités!
Les contributions d’entretien fixées selon les nouvelles lignes directrices seront plus importantes (contribution de prise en charge prise en compte), mais finalement perçues sur des périodes extrêmement courtes. Le résultat est une paupérisation du parent en charge de l’enfant et, par la même occasion, de l’enfant.
En outre, le TF laisse peu de place à la marge d’appréciation du juge dans la fixation des paliers en relation avec la reprise d’une activité lucrative par le parent en charge de l’enfant.
Ce schématisme laisse craindre une application systématique ne laissant pas la place à la prise en considération des éléments concrets et des différences entre chaque famille. En outre, la reprise d’un temps d’activité à un temps extrêmement partiel, telle que prévue par les lignes directrices, ne semblent pas en accord avec la réalité du marché du travail14.
Par exemple, les horaires lors d’emplois sans formation sont, dans la grande majorité, irréguliers (tôt le matin, tard le soir, heures des repas, week-end) et ne correspondent pas à la prise en charge scolaire des enfants (par exemple, économie domestique, restauration, assistante de soins, etc.). En outre, au vu de la concurrence régnant dans de tels emplois, il est dans la réalité pratiquement impossible de trouver un emploi à 50% (voire moins) correspondant exactement aux horaires de scolarité de l’enfant.
8. Conclusions
La jurisprudence du Tribunal fédéral est encore mince. Les contours de l’application des nouvelles lignes directrices ainsi fixées devront encore être affinés. Cependant, le fond de la réflexion ayant mené à la fixation desdites lignes directrices laisse présager une application stricte, laissant peu de place à l’exception.
La conception de la famille telle qu’elle est mise en avant par le TF semble correspondre à une modernité toute relative et extrêmement subjective. En particulier, le fait qu’il soit accordé aux considérations économiques une place extrêmement importante est choquant. L’intérêt de l’enfant paraît mesuré à l’aune de réflexions économiques, plus qu’à la lumière des soins et de la présence d’un parent. Le fait que la garde par un tiers soit mise, quel que soit l’âge de l’enfant, sur pied d’égalité avec la prise en charge par un parent, va également dans ce sens.
Le but de la nouvelle loi était d’harmoniser la prise en charge des enfants issus de couples mariés et non-mariés et de les placer sur pied d’égalité. La nouvelle loi prend la direction de réduire une inégalité pour la remplacer par une autre, ce qui est fortement regrettable. En effet, les enfants issus de famille à bas et moyens revenus seront paupérisés par la nouvelle pratique, creusant les inégalités sociétales. En effet, les contributions d’entretien à l’enfant seront plus hautes dans un premier temps, car prenant en compte une contribution de prise en charge, pour baisser ensuite drastiquement, dès la scolarisation de l’enfant, soit dans la plupart des cantons dès ses 4 ans. La même règle sera appliquée à la contribution d’entretien du conjoint ou de l’ex-conjoint, de sorte que, dans le résultat, ce seront des contributions bien moins importantes qui seront allouées. Etait-ce là réellement le but de la modification de la loi? y
1Message du 29 novembre 2013 concernant la révision du Code civil suisse (entretien de l’enfant), in FF 2014 511 ss, 558 ch. 2.1.3, 533 ch. 1.5.2. (cité ci-après: Message)
2Arrêt de la Ire Cour d’appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 27 mars 2017, RFJ 2017 p. 41; décision du Tribunal du district de Sion du 3 avril 2017 [SIO C2 16 288], RVJ 2017
p. 275; décision du Tribunal cantonal du canton de Lucerne du 27 mars 2017 [3B 16 57/3U], FamPra.ch 2017 p. 878; décision du Tribunal cantonal du canton de Zoug du 3 février 2017 [EV 2016 120], FamPra.ch 2017 p. 603; décision du Tribunal cantonal de Saint-Gall du 15 mai 2017 [FO.2016.5], FamPra.ch 2017
p. 1161.
3Olivier Guillod, La détermination de l’entretien de l’enfant, in: Bohnet/Dupont, Le nouveau droit de l’entretien de l’enfant et du partage de la prévoyance, 2016, n° 41 p. 20; Fulvio Haeffeli, Nachehelicher Unterhalt als Auslaufmodell, RSJ 2016 pp. 417 ss, p. 421; Jungo/Aebi-Müller/Schweighauser, Der Betreuungsunterhalt, Das Konzept – die Betreuungskosten – die Unterhaltsberechnung, FamPra.ch 2017 pp. 163 ss, p.167; Patrick Stoudmann, La contribution de prise en charge, in: Entretien de l’enfant et prévoyance professionnelle, 9e Symposium en droit de la famille 2017, Université de Fribourg, 2018, pp. 83 ss.
4Message pp. 553-554, 556.
5ATF 113 II 13 c. 5, p. 17; 129 III 417 c. 2.2 p. 421; TF 5A_1043/2017du 31.5. 2018.
6TF 5A_454/2017 du 17.5.2018 c. 6.1.2.2.: Valais, Lucerne, Zoug.
7Message pp. 530, 552 et 554 ss.
8Message p. 578.
9ATF 127 III 136; 132 III 593 c. 3.2, p. 594 s.; 134 III 145 c. 4 p. 146; 134 III 577 c. 8 p. 580; 135 III 59
c. 4.1 p. 61.
10ATF 132 III 593 c. 3.2, p. 594 s.; ATF 134 III 145 c. 4 p. 146; 134 III 577 c. 8, p. 580; 135 III 59 c. 4.1 p. 61.
11Céline de Weck-Immelé et Jérôme Saint-Phor, La contribution de prise en charge: nouveaux repères?, Newsletter DroitMatrimonial.ch septembre 2018, p. 7.
12Communiqué de presse du TF du 28.9.2018, Dossier n° 11.5.2/34_2018; Céline de Weck-Immelé et Jérôme Saint-Phor, op cit. note 11, p. 8.
13E. Crettaz (2018). La pauvreté laborieuse en Suisse: étendue et mécanismes. Social Change in Switzerland, N° 15. doi:10.22019/SC-2018-00005.
14Dans le même sens: Céline de Weck-Immelé et Jérôme Saint-Phor, op. cit. note 11, pp. 8 et 9.
«Le nouveau droit de l’entretien de l’enfant sous l’angle de l’égalité de genre» fera l’objet d’une conférence donnée par Michelle Cottier, professeure, et Johanna Müheim, doctorante, le 14 mai à l’Université de Genève.